1.1.2 Modèles catégoriel et dimensionnel de la personnalité : approche en « Types » et « Traits »

L’approche de la personnalité par les « traits » et « types » est un système taxonomique qui permet de décrire des différences significatives entre les individus (sur les dimensions étudiées), tout en prenant en considération les différences biologiques dont on suppose ou infère l’existence. Les prémices remontent à l’antiquité et Kretschmer au début du siècle a proposé les premiers morphotypes associant configurations corporelles et troubles psychiatriques à partir de l’interprétation des corrélations obtenues entre les deux variables étudiées.

Le modèle « catégoriel » décrit les personnalités en « types » alors que le modèle « dimensionnel » la décrit en « traits ».

Les types sont une simplification grossière qui caractérise une manifestation observable dichotomique d’un ensemble de traits communs à de grands groupes de personnalité. C’est une expression bipolaire (colérique oui/non), discontinue (on l’est ou on ne l’est pas).

Le modèle dimensionnel décrit la personnalité en traits (l’ensemble des traits caractérise une personnalité). La notion de trait, très répandue, constitue le matériel d’étude de la psychologie de la personnalité. Un trait n’est pas directement observable, c’est une tendance sous-jacente plus ou moins marquée selon les individus, porteuse d’une valeur explicative mais non prédictive des conduites. Cette notion rend compte de la relative cohérence et stabilité des conduites générales, dans une délimitation qui reste floue. On distingue le trait (par exemple extraverti) de l’état du sujet (joyeux). Les traits sont généralement décrits par des verbes d’action (parler, crier, fuir…) alors que les états le sont par des verbes d’état (se sentir, avoir envie, aimer …). L’amalgame du trait et de l’état peut être à l’origine de divergences de points de vue dans les études sur les traits de personnalité. Un zoom sur certains auteurs permet de mentionner l’étendue du concept. Pour Allport :

‘[…] un trait est une structure neuropsychique ayant la capacité de rendre de nombreux stimuli fonctionnellement équivalents, de déclencher et de guider des formes équivalentes de comportement adaptatif et expressif. (Allport 1937) p. 347. ’

Au contraire, pour Revelle :

‘[…] les traits sont des énoncés décrivant la probabilité des taux de changement de la conduite en réponse à des déclencheurs situationnels particuliers. (Revelle 1995).’

Pour définir le trait, le premier auteur part de l’individu, le second du contexte. En revanche, tous deux s’accordent d’une part sur le fait que les traits ne sont pas les conduites elles-mêmes - plus un trait est saillant (intensité) et constant (fixé), plus les conduites qui s’y rapportent sont déclenchées par des stimuli de faible intensité pour un sujet donné - et d’autre part, sur le fait que le trait ne permet pas d’approcher la structure de la personnalité mais seulement son aspect fonctionnel.

La remise en cause de l’existence d’un trait peut se faire à plusieurs niveaux : soit sur le trait lui-même, soit sur l’étendue de son pouvoir explicatif (généralité de la dimension en question), ou encore sur son nombre de dimensions.

Rejeter l’existence de traits revient à dire que la conduite s’explique principalement de l’extérieur, en réponse aux stimulations. La réponse comportementale fournie par le sujet est alors celle qui, par le passé, a été la plus fréquemment exprimée dans des situations identiques ou semblables (point de vue behavioriste radical de Skinner). Dans cette conception, le sujet est essentiellement réactif à un ensemble d’expériences. Son individualité provient des renforcements des situations vécues. Précisons que, dans les faits, les situations vécues par le sujet sont seulement comparables ou proches, mais jamais identiques. En outre, le sujet dispose d’une marge de choix pour ses actions. Dès les années 1970, les théoriciens de l’apprentissage social que sont Bandura, et Mischel réfutent le concept de traits innés (Mischel 1973; Bandura 1977). Pour eux, les conduites humaines sont au premier plan, et les apprentissages en rendent compte. Ils mettent l’accent sur les représentations mentales et plus particulièrement sur les attentes du sujet quant aux renforcements.13 La volition permet la sélection d’une conduite parmi celles qui ont été préalablement acquises. À eux seuls, les processus cognitifs ne caractérisent pas le sujet : ils sont le reflet des situations dans lesquelles le sujet a évolué et évolue encore, reflet aussi des réponses qu’il apporte à travers ses actions sur l’environnement, compte tenu aussi des autres sujets qui y participent.

Il nous semble que l’existence des traits ne soit pas incompatible avec l’influence du contexte d’apprentissage et de la motivation, selon un système rétroactif (boucle feed-back). Le couple « homme/environnement » constitue un comportement situé, et par là-même, les traits sont donc en partie éducables. (Confère section ).

Les traits peuvent rendre compte de différences inter-individuelles sans pour autant expliquer les expériences et les actions d’une personne donnée (absence de relation causale). Tout comme, en épidémiologie, on parle de facteur de risque et non pas de facteur de causalité, la psychologie des traits permet de positionner une personne sur une dimension sans pour autant comprendre son architecture.

Le modèle dimensionnel porte d’abord sur des caractéristiques mesurables chez tous. La personnalité d’un sujet est décrite par sa position sur un nombre restreint de dimensions : son « profil » général. L’équipe de Mc Crae va plus loin et précise que les traits innés sont prédictifs d’éléments importants de la vie. Les traits seraient relativement peu sensibles au contexte social et ce, indépendamment de la culture et de la langue.

Trois écoles ont principalement marqué l’étude factorielle de la personnalité : par ordre chronologique, celles de Guilford (Test de Personnalité Guilford-Zimmerman), d’Eysenck (E.P.I) et Cattell (16 PF). Aujourd’hui l’approche en cinq facteurs constitue le compromis généralement adopté. Le point principal de discorde entre les écoles réside sur le nombre de dimensions à retenir pour définir un profil en combinant les exigences d’exhaustivité et d’économie ; (dès 1932 Mac Dougall envisage le nombre de cinq). La récente méta analyse de Marcon confirme que la mesure en cinq traits inclut les dimensions principales des autres modèles d’investigation de la personnalité (Marcon and Krueger 2005).

Au cours des années 1970, la litanie de reproches sur les modèles s’est enrichie d’interrogations sur les différences inter et intra-individuelles. Dans les années 1980, de nombreux auteurs viennent à la rescousse de la psychologie des traits et tendent à démontrer qu’elle exprime des comportements stables et prévisibles. Elle n’est donc pas un artéfact qui relèverait de biais. Jusque dans les années 1990, les études longitudinales sur le vieillissement de Costa et Mc Crae ont largement contribué à asseoir la crédibilité de la stabilité des traits (Mc Crae 2000). Depuis, les divergences portent sur l’inter corrélation des traits et donc la difficulté à illustrer leur structure. On se demande alors si : l’anxiété et la dépression font partie d’un seul et unique trait, voire sub-trait ou deux traits différents et complémentaires ?

Il est parfois difficile d’identifier des invariants suffisamment généraux en terme de traits pour rendre compte de l’unité du comportement général (attitude comportementale) d’un sujet. C’est pourquoi en plus de l’approche de la personnalité par les traits et types, il est possible d’adjoindre l’approche par les attitudes comportementales, en tant qu’expression émergente de la personnalité. Il peut être ardu de trouver des indicateurs de trait fortement corrélés avec un comportement observable. Ce dernier s’avère très dépendant de la technique d’observation, de l’outil utilisé et de l’observateur.

En outre, les traits de personnalité résultent des configurations complexes (cognition, affects, conduites) qui manifestent une relative cohérence intra-individuelle et une relative stabilité dans le temps ; ce sont des dispositions (et non du déterminisme) à se comporter de manière identifiable en réponse aux exigences d’une situation. Les traits caractérisent une personne, permettent de la différencier des autres, de toutes les autres. Le sujet est donc bien unique. La cohérence intra-individuelle permet de « prédire » les conduites futures sur la base des conduites passées. Les traits sont inférés à partir de conduites adaptatives caractéristiques d’une personne, sur la base de l’observation des dites conduites par une autre personne et/ou sur la base de la propre introspection du sujet.

La stabilité dans le temps est un aspect central de la personnalité qui justifie son investigation. Pour l’OMS, la rigidité de la personnalité se définit comme un syndrome.  Le DSM14 IV, définit les troubles de la personnalité pardes « comportements ou traits caractéristiques à la fois d’un comportement récent et du comportement au long cours depuis l’âge adulte. L’ensemble de ces comportements, ou de ces traits, est responsable soit d’une altération significative du fonctionnement social ou professionnel, soit d’une souffrance subjective».

Dans des conditions normales, les traits montrent une tendance à ressentir certains affects plutôt que d’autres. On parle de stabilité relative (au fil des âges de la personne) et de stabilité absolue à l’âge de la maturité (Roberts and Del Vecchio 2000). Les fluctuations de niveaux, mêmes faibles, portent entrave et compliquent les études sur la fiabilité absolue des traits.

La période allant de 18 à 30 ans est considérée comme charnière dans la structuration de la personnalité. La stabilité relative générale de la personnalité laisserait toutefois place à des fluctuations. Mc Crae et Costa estiment que :

‘[…] les trois cinquièmes environ de la variance15 des traits de personnalité restent stables tout au long de l’âge adulte. » (Mc Crae and Costa 2006), p. 239. ’

Des études récentes estiment que le plateau de stabilisation de la personnalité ne semble pas atteint avant 50 ans, soit beaucoup plus tard qu’on ne l’estime habituellement (Twenge 2001; Field, Austin et al. 2002).

Quels que soient les courants envisagés, l’observation des conduites humaines montre des régularités, des noyaux relativement cohérents de cognition, d’émotions et de comportements : ils manifestent une stabilité dans le temps et une cohérence inter et trans-situationnelle relative. On appelle ces noyaux cohérents des « traits » ou « dimensions de personnalité », dans une terminologie plus philosophique.

La psychologie sociale envisage deux caractéristiques particulières des traits. Ceux-ci permettent d’évaluer l’utilité (sociale) d’une personne appelée aussi affordance16, ainsi que son état (mode d’adaptation stable de l’individu à son environnement.) Le trait est donc polysémique et sous l’influence (plus ou moins prononcée selon les écoles) du contexte culturel et social. La difficulté étant de distinguer les traits, tels que « introverti, extraverti » des états dépendants du contexte et des émotions « énervé, perplexe, joyeux, consciencieux ». Les traits comprennent ce qui est stable alors que les états sont instables et donc partiellement étrangers à la personnalité, sans compter les recouvrements possibles entre les deux typologies (l’extraversion comporte des dimensions qui relèvent à la fois du trait et de l’état). En outre, la stabilité toute relative des traits s’illustre par des modifications socio-historiques de certains scores obtenus par la méthode des traits. L’évolution intergénérationnelle nous pousse à distinguer les risques dans le temps et l’espace. Legrand & Apter constatent une augmentation importante ces derniers temps de personnes engagées dans les sports à risque, caractérisées par un challenge physique et psychologique qui favorisent l’extraversion et le dépassement de soi (Legrand and Apter 2004).

Le modèle catégoriel est plutôt utilisé en médecine psychiatrique et le modèle dimensionnel en psychologie.Dans les courants les plus actuels de la neuropsychologie, les deux composantes sont explorées de façon concomitante, pour une meilleure élaboration du profil cognitif et conatif du sujet. Sur un plan général, le modèle catégoriel par types recoupe en partie seulement celui des traits. Il condense l’information par le regroupement d’individus présentant les mêmes caractéristiques. Le sujet appartient à une catégorie ou classe spécifique, dans une catégorisation limitée.

L’approche de la personnalité par les « traits » et « types » est un système taxonomique qui permet de décrire des différences significatives entre les individus. Les deux modèles par les types et traits constituent une approche complémentaire à l’observation directe. Le modèle « catégoriel » décrit la personnalité en « types » alors que le modèle « dimensionnel » la décrit en « traits ». La polémique sur les traits porte plutôt sur leur nombre, leur fluctuation de niveau et leur identification spécifique. Au plan consensuel, ce sont des tendances fondamentales du sujet tandis que les habitudes, opinions, compétences et croyances sont des adaptations en fonction des possibles de l’individu. Les traits sont très généraux et abstraits alors que les adaptations sont concrètes et insérées dans un contexte.

Notes
13.

Mécanisme qui permet à un comportement initialisé dans la petite enfance de s’exprimer ou pas du fait de la succession ou l’absence de répétions. On parle de renforcement positif ou négatif.

14.

LE DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual - Revision 4) est un outil de classification américain des troubles mentaux.

15.

La comparaison de plusieurs moyennes observées entre-elles, selon un plan expérimental prédéterminé est effectuée avec une analyse de la variance (ANOVA). Le test se base sur une décomposition de la variance en une partie « explicable » et une partie « erreur », supposée distribuée selon la loi normale. Ce test est particulièrement utilisé dans les sciences humaines et sociales et les sciences cognitives.

16.

L’affordance désigne en psychologie la propriété d’un objet ou d’un sujet issue d’une caractéristique qui indique l’utilisation de l'objet ou la spécificité du sujet. L’exemple appliqué à la sécurité routière est constitué par le véhicule de grosse cylindrée qui ne peut donner lieu qu’à un comportement vitesse de la part du conducteur, comme si la caractéristique de l’objet devenait une caractéristique du sujet.