1.5.4 Stigmates de la dépendance Automobile

Tout un chacun se défend de la dépendance à l’objet. La liste des signes de la dépendance de Litman nous interpelle sur notre propre dépendance (Litman 1999).

Tableau 1 : Stigmates de la dépendance automobile
Variables Dépendance automobile
Possession d’une voiture Forte motorisation
Usage du véhicule Usage intensif
Densité d’usage du sol Faible
Mixité d’usage du sol Urbanisme « sectorisé »
Espace réservé au transport Grandes emprises pour les voies et parkings
Conception des voies Voies conçues pour favoriser le trafic automobile
Echelle du maillage viaire Mailles viaires et îlots à vaste échelle
Vitesses de circulation Vitesses de trafic maximales
Environnement « piéton » Principalement dans des centres commerciaux privés
Signalisation À grande échelle pour un trafic rapide
Stationnement Généreux, gratuits, normes rigides
Conception des lieux Possibilité de stationner devant les immeubles

(Source (Litman 1999)

La congestion urbaine peut revêtir un caractère volontaire et constituer un remède ; si elle se développe, elle inhibe le mouvement de spirale décrit plus haut comme processus d’ancrage de la dépendance. Se pose alors le problème de l’évaluation de la congestion qui se fait uniquement sur la valeur temps qui reste une évaluation individuelle et subjective. La congestion se mesure en temps perdu, mais ce qui reste tolérable pour l’un est intolérable pour l’autre. Dans une perspective de lutte contre la dépendance, on peut se proposer de traiter le mal à la racine en laissant l’inhibiteur congestionnel jouer son rôle afin d’éradiquer la dépendance. Il s’agit alors de limiter la circulation, généralement considérée comme une liberté individuelle. D’un point de vue théorique le remède semble efficace. Toutefois, en pratique, il relève d’une politique et du socialement incorrect, donc difficilement applicable. Pour la région de Londres, la Grande-Bretagne semble avoir appliqué ce principe. Elle n’est, toutefois, pas arrivée à éradiquer la dépendance : elle l’a déplacée du centre ville vers la périphérie, tout en la réduisant en un point spécifique, objet de tous les regards.

La pénurie de stationnement (suppression de places), l’augmentation subjective du prix du carburant et, plus généralement, du prix du transport individuel, la limitation des vitesses sur les parcours les plus longs (donc où le gain de temps par l’usage du véhicule individuel est le plus grand), la densification des villes, le développement des modes de transport doux et des transports en commun constituent d’autres remèdes à l’addiction. Une politique d’éradication de l’addiction à l’automobile, pour être efficace et ne pas opérer à de simples déplacements, doit agir au niveau national voire européen sur tous les vecteurs. L’automobile a depuis longtemps dépassé les limites du quartier ou de l’agglomération. Aujourd’hui, on ne traite pas la « maladie » mais on dispense des soins palliatifs. Le permis à un Euro n’en est qu’un exemple : il ne réduit pas la dépendance mais la « naturalise », cette dernière devient partagée par tous, tout en étant liée à des valeurs fortes d’inégalité et d’exclusion. Des études prospectives sur la dépendance automobile voient le jour, elles ouvrent des pistes de recherche. L’augmentation récente perçue comme très importante33 du prix du carburant marque la fin d’une époque ; les adaptations individuelles et collectives vont devoir être rapides afin de ne pas creuser les inégalités.

Le risque d’accident est bien évidemment lié à l’exposition au risque, c'est-à-dire la quantité de déplacement, mais également à la faculté de s’exposer soi-même au risque, dans une situation donnée : il est donc bien en lien avec des facteurs de personnalité (Kassinove 1998).

Tout comme certaines personnes présentent une disposition à jouer avec excès, du fait d’un désordre dans le contrôle des pulsions (American Psychiatric Association 1994), d’autres semblent plus portées à la prise de risque sur la route et ce, indépendamment du contexte d’exécution de la conduite. En outre, les hommes sont plus enclins aux pathologies d'addiction que les femmes (même si les écarts s’atténuent au fil du temps). Les sujets addictifs auraient une préférence pour la récompense immédiate. La loi de l’effet34 appelée aussi principe de réalité, selon les écoles, nous éclaire sur la fixation des conduites dont le point ultime correspond à l’addiction. S’installent et se renforcent les conduites qui obtiennent régulièrement un résultat favorable. La récompense renforce les conduites et la punition les affaiblit. Pour Piaget, la frustration (sanction-répression) fait naître la pensée. Par la rupture d’équilibre qu’elle induit implicitement, elle impose la nécessité de rechercher une meilleure équilibration. La constante répétition de situations semblables établit des patterns réactionnels ou patrons efficaces dont l’ensemble permet l’intégration de motivations essentielles. Il devient alors inutile de réinventer chaque fois la conduite adaptative.

Les conduites se fixent dans la mesure où elles sont facteurs d’équilibre (adaptation à la règle extérieure ou adaptation interne) et la compulsion de répétition les renforce sans toutefois envisager cette dynamique selon une loi rigide. Tout mode de réponse offre une inertie (résistance au changement35) qui rend compte en partie de la stabilité des structures mais il s’agit seulement d’une disposition qui rend possible de nouvelles acquisitions.

Pour Lagache :

‘[…] Les conduites peuvent se modifier sous l’influence d’une transformation du milieu sans que l’on observe des modifications structurales de la personnalité. La structure reste la même à travers le changement (Lagache 1947).’

Un patron obtenu par la sanction/répression ne devient efficace et stable que s’il a été compris et accepté par l’intéressé. En l’absence de compréhension, soit le sujet reste dans le conditionnement soit, il risque une réaction en opposition. Pour être acceptée, une mesure règlementaire doit donc être comprise.

En Sécurité Routière, on commence à adopter des modèles pédagogiques dérivés de la santé, qui prennent en considération les phénomènes addictifs : le modèle transthéorique de J. Prochaska & C.di Clemente, ou le modèle d’autorégulation de (Carver and Scheier 1981; Prochaska, Di Clemente et al. 1992; Prochaska and Di Clemente 1994). Les violations routières appartiennent ainsi au monde de la prévention et, à ce titre, bénéficient du même courant de pensée.

Le modèle de Prochaska part du principe que le thérapeute ou le formateur doit adapter sa stratégie au stade de changement (position) où se trouve son interlocuteur, sans jugement de valeur. Il est d’usage de laisser à l’autre le temps de faire émerger l’ambivalence entre ses conduites et l’état comportemental souhaité par la communauté, tout en augmentant sa confiance en lui afin qu’il adopte consciemment une stratégie de changement qu’il s’agit par la suite de consolider.

D’après le modèle d’autorégulation, le comportement est considéré comme la résultante d’un processus de comparaison entre un état souhaité (but) et un état présent. Si le sujet perçoit un écart entre les deux, alors une boucle rétroactive conduit généralement à mobiliser des ressources en vue de le réduire, ou de modifier le but. Le sujet fait appel à la métacognition. L’autorégulation associe une dimension cognitive (allocation des ressources, notamment de l’attention) et une dimension affective.

Peele(1985) démontre que les addictions ne sont pas réductibles au strict rapport d'addiction entre un organisme particulier et une substance spécifique. Les facteurs environnementaux jouent également un rôle crucial, dans le comportement addictif mais aussi dans le besoin compulsif. L’addiction ne serait pas seulement le rapport du sujet à une substance mais bien l’usage d’une substance par un sujet dans un contexte déterminé.

Notes
33.

L’augmentation du prix du carburant ajustée à l’inflation n’est pas si importante que l’on veut bien le dire aujoud’hui. Comparativement l’essence est moins chère qu’en 1970 (confère le journal Le Monde en ligne du 08.09.08, article de Jean-Michel Bezat http://www.lemonde.fr/

34.

La loi de l’effet est un principe qui gouverne l’apprentissage par conditionnement opérant. Elle établit qu’une réponse est plus susceptible d’être reproduite par le sujet si elle entraîne une satisfaction pour l’organisme et d’être abandonnée s’il en résulte une insatisaction. Loi du début du xxè formulée par Edward Thorndike.

35.

La résistance au changement s’exprime dès lors que l’humain est un être social et de ce fait acquiert des conditionnements (modes opératoires plus ou moins automatisés) à des fins d’économie physique, cognitive ou conative.