3.2 Modèles

Le risque n’est pas une entité isolée, il est orienté vers un but et se manifeste sous la forme d’un étayage. Il est plus ou moins admis dans nos sociétés parce que l’activité qui le crée permet d’atteindre des objectifs positifs ou souhaités.

Quatre modèles principaux de la prise de risque qui diffèrent sur ce qui pousse à agir et plus généralement, sur la conception même de l’humain se distinguent.

Dans le modèle de Wilde, le sujet vise à maintenir un niveau constant de risque subjectif alors que les trois autres modèles optent pour le risque que le sujet cherche à éviter (risque proche de zéro).

Van Der Molen aborde les types de comportement basés sur les savoir-faire, les règles, les connaissances avec un degré d’automatisation dégressif, sous l’angle du niveau de contrôle (Van der Molen and Bötticher 1988) et ce, en fonction de trois niveaux de contrôle du risque : opérationnel, tactique, stratégique. Chaque niveau se fonde sur le degré d’urgence temporelle et la source d’informations nécessaires pour prendre des décisions. Ces modèles ont inspiré ceux de (Keskinen 1996), et de (Groeger 2000) qui y ajoutent des composantes cognitives. Ces deux derniers modèles sont classés parmi les modèles hiérarchiques qui mixent largement les éléments extérieurs à l’individu et la subjectivité du sujet. Les modèles hiérarchiques distinguent des niveaux hiérarchiques qui sont pris en compte dans l’élaboration du comportement du conducteur. Le concept fait l’objet d’une reprise et d’un enrichissement avec JP Assailly. (Michon 1979; Michon 1980; Keskinen 1994; Assailly 2005). Pour Michon trois niveaux de risque se distinguent:

Le modèle hiérarchique développé dans GADGET introduit le rôle de la planification et des représentations. JP Assailly le complète en intégrant la conduite dans le style de vie du sujet (niveau 4). Il est en constante évolution et aujourd’hui l’on parle d’introduire un cinquième niveau, social.

Ces modèles ont en commun la formalisation de processus psychologiques dits exécutifs en neuropsychologie qui sous-tendent l’activité. Chacun zoom sur un des éléments du système. L’analyse du phénomène se fait en fonction de plusieurs critères:

La combinatoire de toutes ces approches constitue l’évaluation subjective du sujet dans une situation donnée. Le risque, dans son acception puriste, se définit par une fréquence d’occurrence d’un événement indésirable alors que la prise de risque ne revêt pas systématiquement et immuablement ce critère d’indésirabilité. La prise de risque relève du risque acceptable et non d’une connaissance en termes de « oui » « non ».

Legrand et Apter appréhendent la prise de risque sous l’angle de la théorie du renversement 48 (Legrand and Apter 2004). Cette théorie centrée sur la vie mentale, ne s’isole pas du comportement observable, compris à travers la signification subjective que l’acteur assigne à ses actions. Elle se situe en amont des théories comportementalistes et constructiviste sociales. Elle se distingue du constructivisme social en spécifiant que la nature humaine est fondamentalement unitaire, partout et de tout temps, chacun étant, minute après minute, différent de l’autre et de soi-même. Une motivation et les émotions ne se réduisent pas à des phénomènes cognitifs, ils répondent à une logique propre. L’idée de base de la théorie est que les états fondamentaux du sujet vont par paires d’états opposés, le changement consiste en un basculement entre les deux. Un seul des deux états pouvant être actif au même moment.

La « Reversal Theory » d’Apter est une théorie de la structure de la vie mentale qui permet de concevoir que l’individu est non seulement changeant au cours du temps et qu’il peut se comporter de façon contradictoire ; les deux états de l’individu étant l’état télique et paratélique49. Dans l’état télique le sujet devient anxieux lorsqu’un événement exigeant ou menaçant entraîne une élévation du niveau d’activation alors qu’il sera détendu lorsque la tâche est terminée. Dans l’état paratélique, le sujet est agréablement excité lorsqu’il est impliqué émotionnellement alors qu’il est plongé dans l’ennui lors d’un manque de stimulation. Selon cette approche, la prise de risque répond à un besoin élevé d’activation. Le danger, par le niveau élevé d’activation de l’état télique qu’il suscite, génère de l’anxiété mais, si le danger est écarté alors il y a basculement vers la courbe paratélique qui entraîne une euphorie aussi intense que l’anxiété antérieure. Le « Tension and Effort Stress Inventory », utilisé avant et après une épreuve de prise de risque, montre que le degré d’anxiété du sujet en pré-activité est lié au degré de satisfaction en post-activité avec un effet de dose (Apter 1982; Apter 1997). L’anxiété est au plus haut, immédiatement avant le danger et la satisfaction la plus élevée intervient immédiatement après le danger. La prise de risque se manifeste alors comme un aménagement hédonique de régulation émotionnelle et psychique. Selon Apter, le sujet est, soit à dominance télique soit paratélique. Pour les premiers, plus ils subissent de stress et moins ils sont heureux alors que la situation est contraire chez les paratéliques. Une équipe Norvégienne a démontré que les deux états correspondent à des différences psychophysiologiques objectives :

‘[…] un gradient de tension musculaire tonique plus abrupt dans l’état télique, une accélération du rythme cardiaque plus élevée dans des conditions de menace, dans l’état télique et des « styles de processus informationnels corticaux »différents entre les deux états]. (Apter 1997).’

Aux côtés de l’état télique et paratélique, la théorie du renversement propose trois autres paires d’états métamotivationnels : les états conformiste/transgressif, les états maîtrise/sympathie (opposition entre prendre et donner / donner et recevoir) et enfin les états autique/alloïque( dans l’état autique l’individu est centré sur lui-même alors que dans l’état alloïque le sujet s’identifie au groupe).

Apter apporte donc un éclairage intéressant sur les théories de la personnalité. Il explique la variabilité individuelle (dans une lignée pré-définie).

Notes
48.

C’est une théorie psychologique intégrative de la motivation, de l’émotion, de la personnalité, du stress, de l’addiction considérée comme une base générale de la connaissance du comportement et de l’expérience humaine, construite à partir d’une analyse de la façon dont les sujets vivent l’expérience de leurs motivations.

49.

L’état télique du grec ancien telos signifie but. Par contraste, l’état paratélique est un état d’enjouement où l’activité est engagée pour elle même, pour le plaisir qu’elle procure sans but prédéfini.