3.3.3 Perception et évaluationdu risque

La perception du risque diffère à la fois entre les sujets, et chez un même sujet entre un moment « T » et « T+1 ». Elle est souvent autocentrée, évolutive en fonction du sexe et selon le niveau de contrôle du sujet. Le risque individuel se distingue du risque social. Le niveau de perception du risque social est très variable. Le sentiment de responsabilité, face aux autres, caractérise plus volontiers les femmes. Elles ont des conduites à risque en général plus intériorisées, plus symboliques et plus modérées que celles des hommes. L’acceptation du risque est fonction de sa fréquence, de sa proximité et de sa médiatisation. Pour illustrer ces propos nous citerons l’exemple de non acception du risque aérien ou ferroviaire au XXè siècle (état captif du sujet dans un service public) versus l’accident de la route avec le risque social du conducteur d’un véhicule de type 4x4 versus le risque individuel préférentiel au dépend du risque qu’il fait courir aux piétons.

La perception du risque est censée jouer un rôle crucial, protecteur, dans la régulation de l’activité de conduite automobile. La prise de risque présente différentes modalités : elle s’exprime très souvent sur les comportements de vitesse qui peuvent résulter, à la fois, des mécanismes d’attachement et d’influence, et s’exprimer comme une évaluation de ses capacités de conduite supérieure à la moyenne. Elle fait référence à la production d’un comportement dont le risque représente une qualité intrinsèque, mais également à des types de conduite relevant d’addictions au sens classique du terme.La confrontation au danger est liée à la peur, elle-même considérée comme un mécanisme de protection au service de la survie ; elle est le point de départ de la motivation du comportement d’évitement. Pourtant l’attirance pour la sécurité défendue par Maslow ne semble pas systématique (Maslow 1943). On distingue plusieurs étiologies de la prise de risque : objectif de gains, absence ou manque de prise de conscience, perturbations biologiques, difficultés de détection, ou encore mésestimation des opérations à entreprendre dans le temps et l’espace.

L’aspect stochastique53 fait partie intégrante de la prise de risque.

L’évaluation du risque n’est pas une activité réservée aux seuls experts sur la base de données scientifiques ou techniques ; elle procède d’un jugement en relation directe avec la perception, elle-même constituée de risque. L’expérience acquise permet de réaliser une économie cognitive par l’élaboration d’une nosographie du risque qui permet de sélectionner uniquement les éléments pourvus d’une forte valeur informative (sur un modèle intégratif non linéaire) pour identifier le risque, à l’image du diagnostic du médecin qui repose sur la recherche de certains signes caractéristiques. La perception du risque s’appuie sur les inférences fondées sur ce dont le sujet se souvient (amplificateur social du risque avec une prédominance du mode affectif). La perception du risque n’est jamais directe, elle est médiatisée par des modes de recueil d’information qui sont : soit implicites (les conversations entre amis et les échanges professionnels, par exemple), soit explicites comme les organismes officiels et les médias. Les bases informatives utilisées pour l’évaluation du risque sont essentiellement personnelles. Le risque perçu R est une valeur construite qui se définit individuellement comme un rapport : R= N/P :

N, le nombre de cas observés (accidents, sujets blessés…),

P, les paramètres auxquels on peut rapporter le numérateur N (nombre de kilomètres, nombre d’heures de trajet, nombre d’accidents…).

Une maxime des épidémiologistes dit qu’il faudrait être Dieu pour connaître complètement le dénominateur, c'est-à-dire tous les facteurs qui déterminent le destin d’un individu. Le risque se mesure notamment avec le questionnaire américain de (Taylor and Hamilton 1997), outil efficace et rapide pour repérer les profils mal adaptés à une confrontation à des situations à risque. La passation (16 items) est rapide et il est adapté à la prévention de conduites dangereuses. Sur un échantillon de 384 sujets l’équipe de Lafollie valide l’utilisation transculturelle de l’outil et conclut à une bonne consistance interne (test alpha de Cronbach54, à 0,77 pour l’échelle de compensation et 0,70 pour celle de la fuite), une structure factorielle cohérente, un bon niveau de cohérence interne et une validité de construit satisfaisante. La validation dans le temps reste à effectuer (Lafollie and Legrand 2002).

De façon constante, l’activité risquée est perçue d’autant moins nocive qu’elle procure plus de bénéfices : paradigme de l’utilité espérée, (Slovic and Fischhoff 1979). La fréquence d’occurrence du risque dans les pays développés diminue son acceptabilité et augmente sa vraisemblance. Un risque actualisé paraît, au moins pendant qu’il reste en mémoire, plus probable qu’un risque de nature abstraite. L’acceptation du risque s’inscrit dans un espace-temps mouvant : ce qui est acceptable en un lieu ou à une époque cesse de l’être dans une autre. La survenue d’une catastrophe (pour exemple, l’accident de car de Beaune de 1972 ayant coûté la vie à 53 personnes dont 48 enfants) a contribué à montrer que le risque routier avait été sous-évalué du fait de la rareté de son occurrence. L’événement a ainsi diminué l’acceptabilité du risque routier dans la population pour plusieurs générations et augmenté la vraisemblance de l’accident55. Le système d’information et de disponibilité de l’information par les médias produit une amplification sociale du risque. Une illustration similaire pourrait être faite avec l’accident nucléaire de Tchernobyl. Pour Slovic, le risque acceptable résulte d’une quantité subjective de danger et d’une quantité tout aussi subjective mais plus importante de bénéfices, de l’ordre de la puissance trois. Dans nombre de travaux et allocutions, Amalberti, précise à propos des pilotes de bateaux et d’avions, que l’évaluation du risque est complexe et procède d’activités de recueil d’informations mais surtout d’activités de révision, d’inférences destinées à valider ou infirmer une hypothèse (confrontation de l’image d’une situation présente aux images mémorisées) (Slovic and Fischhoff 1979 ; Amalberti and Gilbert 2001). L’identification des risques et leur évaluation est d’autant plus difficile et tardive pour le sujet que l’adhésion à la croyance de la situation de départ est forte (lien avec le biais d’optimisme, identification tardive du fait d’une identification initiale erronée). C’est l’usage qui conditionne le risque et la sécurisation du système crée des problèmes de surprotection entraînant des investissements irrationnels. Slovic souligne le biais de la visibilité médiatique ; Bernard Cadet avait déjà souligné les différences de perception du risque en fonction de la disparité de la couverture médiatique associée au dit risque (Cadet, Wiegman et al. 1994) L’illustration la plus récente est celle des dépenses relatives à la sécurité dans les tunnels après l’accident du tunnel du Mont-Blanc. Le rapport entre le risque réel encouru dans les tunnels et le risque réel encouru sur la route rend l’investissement disproportionné. Le décalage est à lire dans l’impact médiatique et dans l’acceptabilité par le public.

L’appartenance à un groupe (les conducteurs) fait que l’évaluation de certains risques spécifiques est socialement sous-estimée, pendant que d’autres risques sont sur-évalués. Le risque se prête à des évaluations de probabilités et à des valeurs partagées. Il n’est pas étonnant que :

‘« des individus faisant partie d’un même système social définissent leurs risques, réagissent violemment à certains et en ignorent d’autres ». (Cadet and Kouabenan 2005) p.17.’

La perception et l’évaluation du risque résultent d’une construction sociale, biaisée par le groupe d’appartenance, qui développe une culture commune du risque.

Notes
53.

Phénomène aléatoire attaché à la théorie des jeux et susceptible de perturber le contrôle qu’ont les joueurs sur la résolution du dit jeu ; on y retrouve les aspects probabiliste, imprévisible et incertain du risque.

54.

L’Alpha de Gronbach est un test qui mesure la fiabilité d’une échelle, le score va de zéro à un, il mesure l’homogénéité et la cohérence des variables.

55.

Il en est de même pour la mortalité par maladie, il est aujourd’hui plus qu’hier inacceptable de décéder de maladie.