La notion de Locus de contrôle est une caractéristique individuelle qui reflète lors d’un évènement ce que le sujet considère comme relevant de sa responsabilité (locus dit interne) et de celle des autres ou des circonstances extérieures (locus dit externe).
De manière consensuelle, il est admis que le locus de contrôle est une variable générale de la personnalité. En effet, le score d’internalité ou d’externalité des sujets est assez stable dans le temps. La dichotomie interne/externe est connue de longue date et utilisée dans deux domaines : celui de l’explication des sanctions reçues, ou des freins ressentis, on parle alors de LOC de Rotter, et celui de la justification des comportements adoptés, on parle alors d’attribution causale interne (j’ai voulu adopter ce comportement) ou externe (les circonstances m’y ont poussé) ; dans ce dernier cas on se réfère à Heider, Jones et Davis (Heider 1944; Heider 1958; Jones and Davis 1965; Rotter and Mulry 1965; Rotter 1966). En matière de LOC, une sanction s’explique soit de manière interne (le récepteur de la sanction se dit en être à l’origine), soit de manière externe, une cause extérieure est alors évoquée. Rotter décrit les sujets à locus de contrôleexterne comme des êtres qui perçoivent les événements de la vie comme résultant de la chance ou de la malchance (fataliste non responsable), alors que ceux à locus de contrôleinterne reconnaissent que leurs comportements déterminent lesdits événements (Rotter and Mulry 1965). De nombreuses études mettent en évidence une corrélation entre locus de contrôle externe et l’implication dans un accident. D’autres, moins fréquentes, ne confirment pas ce lien. Lefcourt résume en trois volumes la plupart des études effectuées sur le sujet, et il pointe les liens les plus fréquemment observés (Lefcourt 1981).
Un grand nombre de chercheurs s’accorde sur l’existence d’un lien entre prise de risque et locus de contrôle externe. Ils précisent que les sujets dont le locus de contrôleinterne est faible sont plus enclins à prendre des risques que ceux dont le score est élevé (Baron 1968; Higbee and S 1969). Lajunen précise que l’internalité est liée aux mécanismes d’attention et l’externalité à l’agressivité sur la route (Lajunen and Summala 1995).
Nous rejoignons ces auteurs sur la vraisemblable existence de ce lien, toutefois en l’absence de plan expérimental, il n’est pas possible de prétendre à une relation de cause à effet, surtout que la mise en opposition de l’attention et de l’agressivité est peu satisfaisante : il est possible d’être agressif mais attentif ou encore distrait et agressif. L’internalité est plutôt liée à la pondération, plus facilement opposable alors à l’agressivité qui relève toutes deux d’un mode de gestion affectif.
L’interprétation du rapport entre internalité/externalité et accident (établi après l’événement) pose le problème de la cause profonde initiale. L’externalité prédispose-t-elle à l’accident ou l’inverse ? L’accident peut réveiller la culpabilité et faire toucher du doigt les limites de la toute puissance, au profit de l’internalité, par la responsabilité perçue, écartant ainsi une part d’externalité. En revanche, il est clair que l’attribution des événements à des causes extérieures permet au sujet de conserver un équilibre apparent, mais apparent seulement, dans un souci conscient ou non, de préserver sa santé mentale. Les spécificités de l’accident et du sujet sont en relation avec le locus de contrôle et sa mesure.
Cependant les recherches effectuées sur la dichotomie des attributions causales ont montré une fréquente surestimation des facteurs internes : les individus s’estiment souvent plus responsables qu’ils ne le sont quant aux événements de leur vie (Jones and Davis 1965; Langer 1975; Ross 1977). Cette surestimation du poids de l’acteur peut être vue comme un biais dans la mesure (Heider 1944; Ross 1977). Dans les années 1980, le concept de norme d’internalité de Beauvois a introduit le renforcement des causalités dans l’explication des conduites (Beauvois and Le Poultier 1986).
La surestimation du poids de l’acteur pourrait être le signe d’une valorisation des explicitations internes, une intellectualisation indicateur du niveau social ; de nombreuses études attestent des effets valorisants de l’internalité (Beauvois and Le Poultier 1986; Beauvois, Bourjade et al. 1991; Pansu 1994). Pour ces auteurs, les sujets qui formulent plus volontiers des explications internes sont plus souvent issus de milieux favorisés, avec un meilleur pronostic de réussite socioprofessionnelle. La boucle rétroactive entre mode de gestion et contexte de vie s’illustre à tous les niveaux.
De même en conduite automobile, le conducteur se positionne sur le savoir-faire alors que le passager est plus volontiers dans le savoir-être. Cette différence de positionnement peut-être à l’origine de différences de points de vue. Le mode de fonctionnement du sujet en fonction du niveau de contrôle perçu à un instant donné, peut expliquer en partie la différence entre conducteur et passager, face à la perception du risque encouru. En effet, en situation de conduite, le chauffeur en position dominante d’internalité (applique et/ou développe des savoir-faire circonstanciels) et peut être enclin à choisir un niveau de risque élevé quand le passager, en situation à dominante d’externalité, serait plutôt enclin à adopter un comportement plus sécuritaire. De fait, il n’est pas dans la maîtrise objective de la situation, il est dans la représentation.
Il semble qu’une des explications de la prévalence de l’internalité soit à rechercher dans la formulation des questionnaires d’investigation. Dans celui de Rotter, les questions qui mesurent l’internalité ont une connotation plus positive que celles qui mesurent l’externalité. Y aurait-il tout simplement un biais sémantique que le sujet perçoit dans sa lecture des items qui au lieu de dénoter l’internalité en vue de sa mesure aussi intrinsèque que possible, connotent et mesurent en partie l’allégeance76. L’équipe de Gangloff met effectivement en évidence un tel biais et récuse la validité des questionnaires dont le concept de norme d’internalité est sémantiquement biaisé.
Le locus de contrôle, peut également s’envisager selon une vision duelle qui pourrait être à l’origine de différences dans les résultats contradictoires des études (Montag and Comrey 1987). Chaque sujet utiliserait les deux modes, suivant que la tâche à effectuer soit basée sur un savoir-faire ou sur un savoir-être. Suivant les circonstances, une même personne peut alors, avoir un score interne ou un score externe élevé (analogie avec le point de vue sociocognitif du « si… alors... »). Cette vision duelle, replacée dans un contexte situationnel, pourrait rejoindre la conception d’Oskan sur le positionnement du sujet face aux savoir-faire et face aux savoir-être qui sont dotés d’un taux d’internalité ou d’externalité variable, suivant les circonstances. En aucun cas, cette gestion ne peut relever du hasard, comme Ozkan & Lajumen l’avancent (Ozkan and Lajunen 2005) ; elle relève de choix du sujet à un moment donné et peuvent, tout au plus suggérer une loi aléatoire, au moins en apparence.
La dissonance cognitive77 évoquée par Festinger et la vicariance 78, sont des éléments supplémentaires qui peuvent éclairer le choix d’un mode de régulation plutôt qu’un autre. Les individus aspirent à éliminer les éléments contradictoires, quitte à passer par la simplification. Ozkan et Lajunen ont construit une échelle de mesure spécifique pour le « locus de contrôle du trafic », dite de seconde génération. Elle introduit des distinctions comme les influences du milieu et du hasard (Ozkan and Lajunen 2005). Elle permet une analyse plus spécifique des attributions de causalité et donne des résultats qui vont plutôt dans le sens de ceux d’Arthur (internalité liée à l’infraction) que dans le sens de ceux de Montag (internalité liée à la conduite prudente). Ces résultats récents vont à contre-courant de l’idée reçue selon laquelle l’internalité serait protectrice. Ces travaux précisent que les sujets au fonctionnement « interne » prennent plus de risques pour des tâches basées sur les savoir-faire, alors que les sujets au fonctionnement « externe » prennent plus de risques dans une tâche fondée sur l’aléa (Arthur and Doverspike 1992; Ozken, Turker et al. 2006).
Les résultats les plus récents posent à nouveau le problème du hasard et de l’aléa, très discutable, dans ce contexte. Démontrer l’existence du hasard en matière de conduite automobile relève de l’utopie : il n’y a de hasard que pour celui qui, en pleine possession de ses moyens, en parfaite disposition cognitive d’attention et de prise de décision n’a pas eu le temps de percevoir un obstacle. Du point de vue de l’analyse d’une scène d’accident ce cas de figure ne relève presque jamais du hasard, il relève d’une situation parfaitement descriptible du point de vue de l’espace où a lieu l’événement, de la position des véhicules dans cet espace et de la relation vitesse/temps.
Les échelles d’internalité et d’externalité d’Ozkan, spécifiques à la conduite, sont plus liées à l’accident que les échelles générales de Rotter (Montag and Comrey 1987), mais biaisées par le paramètre de hasard, inacceptable dans ce contexte.
Pour la plupart des auteurs, le locus de contrôle est lié à l’infraction et à l’accident, certes, mais tous ne s’accordent pas sur le sens du lien. Les discordances peuvent provenir de problèmes globalement méthodologiques, de l’inaptitude de la structure bipolaire (interne/externe) à décrire complètement la diversité des attributions causales, du fait de la dominance de l’un sur l’autre à un moment donné ou encore du biais sémantique dû à la mesure de l’allégeance, plus qu’à celle des paramètres d’externalité/internalité.
Les échelles dites de seconde génération prennent en compte cette diversité (Levenson 1990; Gangloff 2001; Ozkan and Lajunen 2005). Sur un point, la bonne consistance interne de l’échelle d’Ozkan permet de mesurer plus précisément le locus de contrôle en situation de conduite. Selon Ozkan, les accidents passifs ou actifs et les infractions sont plus fréquemment associés à l’internalité. Cependant, les phénomènes de sur-confiance et d’optimisme comparatif peuvent biaiser les résultats. Les conducteurs trop confiants en leur savoir-faire explicité pensent qu’ils peuvent éviter des accidents. Un locus trop interne devient alors un facteur de risque en conduite automobile. En réalité, s’agit-il de locus trop interne ou d’un manque de discernement, à un moment donné ?
Enfin, l’introduction du paramètre du hasard et/ou de l’aléa est tout à fait préjudiciable à l’étude du locus de contrôle par définition, puisque ce dernier suppose la maîtrise, justement, d’une situation, même si les circonstances révèlent le contraire, à un instant t .
En revanche, il serait pertinent de mener des études longitudinales, pour qualifier et quantifier le lien entre internalité/externalité et infraction, consciente ou non (tout en distinguant les violations des erreurs). La notion d’implication responsable ou non dans l’accident (la tolérance par rapport au risque encouru dépend-elle du niveau de contrôle du risque perçu ?) a son importance (cf. notre refus de l’implication du hasard dans le raisonnement mais bien la reconnaissance objective de la situation physique d’une scène d’accident).
En outre, si les échelles de mesure font référence à des valeurs morales, voire religieuses, elles peuvent brouiller les pistes d’analyse (l’obéissance devient un corollaire de la vertu ou bien il existe au-dessus de l’humain une entité suprême qui oblige à s’incliner), il faut admettre l’existence de la notion de discernement, dans le comportement du conducteur au volant. Les prochains courants de recherche devront intégrer ces limites dans la constitution d’outils et y adjoindre les dispositifs d’aide à la conduite qui favorisent la qualité du contrôle du conducteur, sans l’en déposséder et envers lesquels, pour des raisons diversifiées, les « internes » comme les « externes » sont pour l’instant majoritairement résistants, au nom de la « divine liberté ».
L’allégeance désigne une norme qui traduit la valorisation sociale des explications et comportements et préserve l’environnement de toute remise en question (la valorisation des explications et comportements assure alors la pérennité de l’ordre social).
Pour Festinger, la dissonance cognitive est l’état de tension désagréable, dû à la présence simultanée de deux aspects de cognition (idées, opinions, comportements) psychologiquement incohérents. Le sujet en présence de connaissances, croyances, opinions incompatibles entre elles, ressent un état de tension désagréable, dit état de dissonance, qui motive la recherche de sa réduction. Le retournement (changement radical qui se traduit en actes visibles), est un des mécanismes psychologiques de la dissonance cognitive. J. Piaget, C. Roger admettaient déjà qu’il est plus pénible au sujet de rectifier une idée que d’en apprendre une nouvelle. En outre, plus le sujet s’est investi dans une connaissance, moins il est enclin à la modifier.
Au plan médical, la notion de vicariance est, a priori, la compensation d’un organe déficient par un autre. Dans l’acception de Reuchlin, l’accent est mis sur le fait qu’une même fonction peut être remplie par plusieurs processus différents qui sont de ce fait substituables les uns aux autres. La probabilité d’activer l’un ou l’autre varie en fonction des sujets et du contexte (variabilité intra-individuelle et inter-individuelle).