5.4.2.3 Conscience de la situation

La Conscience de la Situation (CS) renvoie au concept classique de représentation mentale ; il s’agit d’une construction mentale finalisée en vue d’une action. Le terme conscience s’entend au sens de « awareness », pour désigner tout ce dont le sujet est « averti » pour contrôler son activité dans une situation donnée. Il s’agit du modèle selon lequel le sujet « prend conscience » de ses actions dans une situation donnée. Endsley définit la CS comme : “[…] the perception of the elements in the environment within a volume of time and space, the comprehension of their meaning, and the projection of their status in the near future.” (Endsley 1995).

La CS tente d’expliquer les prises de décision à partir des représentations conscientes du monde (ce que nous voyons de façon explicite et verbalisable). Bien que chacun ait l’impression de tout voir en permanence, le sujet ne perçoit réellement qu’une quantité limitée d’informations à chaque instant. Nous entendons par CS la sélection (et non la perception) d’une quantité limitée d’informations pertinentes au moment où elles sont utiles. Elles sont la clé de voûte de l’activité cognitive. La CS diffère de la perception : en effet, il a été mis en évidence que des lésions de l’aire visuelle n’empêchaient pas d’avoir une conscience de la situation même si le patient a l’impression de donner des réponses au hasard (la CS peut être préservée alors qu’il y a un déficit de perception). En revanche un déficit de la CS est possible alors que la fonction de perception est conservée.

La CS postule qu’un message nerveux est décodé en plusieurs étapes. Ce n’est qu’à l’issue du traitement que les informations visuelles sont accessibles à la conscience et permettent le jugement et la prise de décision, étant entendu que toutes les informations ne sont pas nécessairement perçues consciemment pour être utilisées. En conduite automobile de type « automatique », les capacités de perception sans conscience sont sollicitées et alors contrôlées par « l’inconscient cognitif »81. La représentation consciente n’est pas une étape indispensable pour l’utilisation d’informations visuelles. Toutefois, une bonne conscience de la situation augmente les chances de prendre une bonne décision, étant donné que la plupart du temps, les informations pertinentes, complexes et significatives sont représentées de façon consciente. Lors de la réalisation d’une activité, un va-et-vient constant s’opère : la décision consciente est prise au présent avec une projection de ses conséquences dans l’avenir et en fonction des buts et attentes du sujet. La CS se positionne au sein d'une boucle. Endsley décrit l’attention comme l’une des limites majeures de l'élaboration de la CS, quelquefois compensée par l'activation de schémas permettant l’automatisation des traitements. L'attention est un réservoir (ressource limitée qui doit être répartie entre la perception, la compréhension, la prise de décision et le contrôle des actions).

La motivation et l’apprentissage influencent également la conscience de la situation en fonction de la classification des connaissances préalables (on se représente plus volontiers et plus rapidement ce que l’on a appris à voir). Béatrice Bailly et Pierre Van Elslande chercheurs à l’INRETS creusent le concept de CS appliqué spécifiquement à l’automobiliste. Ils évaluent les liens entre la CS et l’accident. (Van Elslande 2001; Bailly 2004).

En conclusion, les processus d’accès (ou non) à la conscience sont indépendants des processus de recueil, de conceptualisation et de réflexion sur l’information visuelle. En conduite automobile, le sujet prend ses décisions sur la base de représentations mentales opératoires fonctionnelles et lacunaires, du fait du dilemme de la prise d’information (recueillir le maximum d’informations utiles en un minimum de temps).

Pour Tiberghien, la mémoire humaine est habituellement définie comme la capacité à réactiver, partiellement ou totalement, de façon véridique ou erronée, les événements du passé (Tiberghien 1990). Elle « contiendrait » des connaissances du passé mais également des déterminants perceptifs du présent. Elle est productrice, de façon permanente, de schémas hiérarchisés et emboîtés qui façonnent nos anticipations et sont porteurs de surprises potentielles.

Il existe plusieurs modélisations de la mémoire. Le modèle en trois dimensions comprend :

  1. le sous-système sensoriel : il retient une quantité spécifique d'informations pendant un temps extrêmement court (quelques millisecondes)  (empan de mémoire de travail évalué en moyenne à 2,4 seconde à un moment T);
  2. la Mémoire à Court Terme (MCT) : elle contient un nombre limité d'éléments ;
  3. la Mémoire à Long Terme (MLT)Dans l’acception que nous retenons,la MDT est support du raisonnement et de la résolution de problèmes et non pas un instrument. C’est l’intelligence du sujet en action qui résout le problème. Cette distinction n’est pas toujours clairement exprimée suivant les auteurs. : elle est sans limites de capacité et de durée et comporte des informations sémantiques au sens large : mémoire sémantique (connaissances encyclopédiques) et mémoire épisodique (événements de la vie)Si nous donnons cette précision c’est que d’un point de vue neuropsychologique (pathologie de la mémoire), un sujet peut présenter une dissociation de ces deux composantes : avoir perdu ses connaissances encyclopédiques tout en sachant qui il est (souvenir des événements de vie) et inversement..

Ce modèle en trois dimensions a été enrichi par Greeno du concept de Mémoire De Travail (MDT) pour rendre compte des capacités de raisonnement symbolique complexe (Greeno 1976). La MDT se définit alors comme un système à capacité limitée gérant à la fois des opérations de stockage et de traitement simultanément à la réalisation d’activités cognitives complexes. Selon ce dernier modèle, la MLT contient les connaissances du sujet acquises au cours de ses expériences passées (procédures de résolution déjà mises en œuvre lors d'anciens problèmes). Enfin la MDT est le siège de la représentation du problème en cours. Greeno indique que la capacité de stockage de la MDT, bien que limitée, est bien plus importante que celle de la MCT. La MDT se compose de deux sous-systèmes esclaves : l’un spécialisé dans le traitement verbal, l’autre dans les informations visuo-spatiales, ainsi que d’un sous-système exécutif central. Chaque composante du système a ses propres ressources mais peut puiser dans les capacités des autres composantes. Les informations sont stockées en MDT avec un haut niveau d’évocabilité pour un traitement efficace en MLT ou une réponse motrice adaptée. Pour certains auteurs la MCT et la MDT sont les deux parties de la MLT qui se trouvent à un instant donné dans un état d’activation particulier.

Notes
81.

Nous ne faisons pas référence à l’inconscient au sens Freudien mais bien à un ensemble de structures et processus mentaux qui influencent notre comportement à notre insu sans recourir à la réflexion ou la visualisation mentale.