1.1.4 Éducation formation

En 1992, la France s’est engagée sur le versant éducatif du conducteur dans les stages de Formation aux causes et conséquences des accidents de la route, alors qu’une littérature abondante des pays anglo-saxons conclut (rapport de l’étude DeKalb menée de 1978 à 1981) que les programmes éducatifs de formation du conducteur ne diminuent pas de façon significative l’implication des jeunes dans des accidents. Le protocole de Dekalb a été repris en 1986 par l’équipe de Lund, Williams et Zador qui conclut à l’absence d’effet de l’apport de connaissances au conducteur sur l’exposition au risque (Lund and Williams 1986). La formation incite le jeune à obtenir son permis plus tôt, donc à s’exposer précocement au risque et ainsi être plus fréquemment impliqué dans un accident. Plus tard, Siegrist et al., puis Haworth et Woolleyconcluent également que l’éducation du conducteur ne diminue pas de façon significative l’implication des jeunes dans un accident (Siegrist 1999; Haworth and Kowadlo 2000; Woolley 2000). Le programme de formation YDEP mené en 1998, en Australie du sud et cité par Woolley, n’a pas non plus mesuré d’impact spécifique sur la sécurité routière. Woolley souligne la nécessité de distinguer la formation de l’éducation qui désigne une notion beaucoup plus large et étendue de l’imprégnation. La transposition de l’éducation au domaine routier ne se fait alors qu’en dernier ressort (Woolley 2000).

La formation consiste à transmettre suffisamment de compétences relatives à la maîtrise et au maniement du véhicule, pour obtenir le permis de conduire. Les compétences des trois premiers niveaux de Gadget sont toutefois insuffisantes pour produire un conducteur compétent. L’éducation inclut la formation à des connaissances relatives à la règlementation, aux concepts généraux de sécurité routière, d’usagers de la route, de comportement, de risque, de mode de vie.

Si la formation du jeune conducteur l’incite à obtenir son permis sans nécessité première l’exposition au risque précoce est alors dommageable. Pour prévenir le risque d’accident, l’usager aurait plus besoin d’une introspection accompagnée d’une éducation adaptée que de connaissances. Les stages de formation doivent donc plus s’orienter dans le sens d’une expérience éducative, en relation avec le vivre ensemble. Ils relèvent donc de l’éducation et non de la formation.

La formation du conducteur s’oriente sur l’obtention du permis alors que l’éducation est d’abord citoyenne, dès le plus jeune âge (l’examen du permis n’est pas considéré comme un outil suffisamment protecteur, les connaissances ne modifient pas les niveaux supérieurs du comportement). Pour certains auteurs, la recherche en sécurité routière devient une branche de la « génétique du comportement » (Zuckerman and Kulman 2000). Les modèles d’influence prégnants identifient un double danger : immédiat (risque de blessure), et à plus long terme (genèse des déviances). Wilson précise (à paraître) :

‘[…] Nous avons coutume d’appeler les stagiaires PAP, la génération perdue. Nous tablons sur le fait, qu’ils transmettront les valeurs aux futures générations de conducteurs. Nous comptons contrecarrer par notre intervention la reproduction intergénérationnelle de l’accident et de l’infraction mise en évidence par Calrson & al. (Carlson and Klein 1970; Ferguson 2001). ’

Les experts en sécurité routière s’accordent pour dire que la « formation du conducteur » est l’un des facteurs clés de la résolution des problèmes d’insécurité; cependant, les opinions divergent quant aux moyens d’y parvenir. Chacun ne met pas la même chose derrière les concepts de « formation » et « d’éducation ». Pour les uns la formation comprend l’introspection, la remise en cause, la déconstruction des savoirs acquis et, enfin, l’acquisition de connaissances ; pour d’autres, le terme est essentiellement axé sur la transmission du savoir-faire.

Dans les stages nouvelle génération, on assiste à un compromis où une place importante mais rassurante est donnée au savoir technique porteur de contenus objectifs et évaluables par un inspecteur qui n’est pas psychologue. Cependant, nous devons pointer des différences entre théorie et réalité constatées, à l’occasion de nos séances d’animation de stages. Entre l’idéologie conceptrice des modules et l’application pratique, le compromis règne. Outre les débordements hors cadre, médiatisés par la presse, mais que nous n’avons jamais observés, nous constatons une tendance (protectrice) à rendre ces stages techniques. Nous avons ainsi les stages dits « power-point », « statistique et calcul mathématique », où l’essentiel de l’attention est porté sur le contenu technique. Le sujet cartésien est donc satisfait : il a fait l’économie d’une remise en cause individuelle qui aurait pu altérer son image. La satisfaction client est bonne mais contraire à la modification du comportement sur la route. La co-animation d’un technicien de la conduite et d’un psychologue est parfois difficile : le technicien s’appropriant en surface les concepts et méthodes du psychologue, sans toujours les maîtriser. Faire accepter le flottement, les silences est difficile quand l’évaluation qualitative d’un stage porte sur le suivi d’un programme en termes de contenu. Nous relevons ici une contradiction gênante au quotidien.

Nous partageons l’idée de Woolley, pour qui l’effort de sensibilisation, s’il ne peut porter sur le changement de comportement, doit porter sur la prise de conscience collective sans être moralisatrice.

À notre connaissance, les seules données disponibles sur le PAP, sont les données quantitatives des bilans annuels de l’ONISR, les enquêtes de satisfaction de stage et d’intention par questionnaire (Annick Billard, Prévention routière : 1994, 1995, 1997, 2000 et 2002) et le travail sur « l’engagement à respecter les limitations de vitesse » de Delhomme (Delhomme 2003). Seule l’étude de Vasseur porte sur la typologie des conducteurs en stage PAP en France (Vasseur 1996). Ce dernier établit une catégorisation, à partir des représentations de mille cinq cents stagiaires en distinguant les « stagiaires en récupération de points » des « stagiaires en alternative aux poursuites ». Cette typologie n’est plus tout à fait d’actualité du fait du nombre décroissant de stagiaires en alternative aux poursuites judiciaires101. Nous retiendrons les conclusions de Vasseur sur les stagiaires en récupération de points, pour lesquels il observe une identification forte au véhicule. L’infraction relève pour eux d’un mode de vie affiché, d’une façon de s’affirmer. La prise de risque est source de jouissance, allant jusqu’au déni de mort. Ce sentiment de toute puissance, procuré par l’impression de maîtrise du véhicule (d’un être vivant en quelque sorte), donne au conducteur la sensation d’être un surhomme, situé hors des lois. Être verbalisé par les forces de l’ordre fait partie du jeu.

Une certaine logique autour de la personnalité se dégage de la classification de Vasseur. Cependant, la catégorisation des conducteurs en fonction du type de stage stigmatise les comportements extrêmes. Aujourd’hui, compte tenu de l’augmentation de la fréquence des contrôles, les stagiaires ne correspondent sans doute plus à une seule catégorie tranchée mais à plusieurs beaucoup plus diffuses.

Le PAP intéresse les assureurs qui voient en lui un outil de remplacement du bonus/malus dont la légalité est actuellement controversée au niveau européen. Le PAP, lié au fichier des accidents, pourrait être à l’avenir un outil de tarification de l’assurance automobile. Une tarification favorable serait proposée aux plus scrupuleux, sur un modèle de récompense.

Cette perspective s’inspire du modèle québécois : la Société de l’Assurance Automobile du Québec (SAAQ) cumule trois mandats qui sont la gestion de l’assurance automobile pour l’indemnisation suite aux accidents corporels sans lien avec la responsabilité, la délivrance et la gestion des permis de conduire et la sécurité routière. Le permis québécois est temporaire, son détenteur doit faire un renouvellement tous les deux ans.

Notes
101.

Une grande différence persiste entre les départements. Certains procureurs sont préconisateurs de stages en alternatives aux poursuites (département de l’Ain par exemple) alors que d’autres pas du tout (département du Rhône).