4.1.2.3 Personnalité

Aucune différence n’est significative sur les critères de personnalité (scores E, N et L) entre hommes et femmes stagiaires ; des échelles de mesure distinctes ne sont donc pas nécessaires pour cette population. Les hommes stagiaires diffèrent significativement des hommes témoins sur le critère d’extraversion. Un plus grand nombre de stagiaires est observé dans les tranches supérieures du score E (résultat conforme au ressenti des formateurs en situation). Bien que nous ne disposions pas de la puissance statistique requise, pour mettre en évidence une différence significative sur les scores de personnalité chez les femmes, nous observons bien une tendance. La moyenne du score E des femmes stagiaires est de 13,6 (écart-type 3,6), celle des femmes témoins de 12,8 (écart-type 3,4). La puissance de l’étude permettait la distinction sur le critère E, sur la base d’une différence d’un point de score que nous n’avons pas tout à fait.

Sur l’échelle de mensonge, le score à 4 du dernier quartile des stagiaires nous interroge. En effet, Eysenck fixe le seuil limite d’interprétation de cette dimension à 4. Nous n’observons pas de différence sur ce score entre stagiaires et témoins, ce qui justifie la non exclusion des sujets concernés ou l’ajustement sur ce critère. En effet, ils font partie de la population et, contrairement à l’équipe de Bonnet, nous n’avons pas jugé nécessaire d’ajuster sur ce critère (Bonnet 2003). Néanmoins, nous rejoignons son point de vue sur le mode de gestion interne du sujet qui influence son rapport au monde et par là, sa prise de risque. Nos résultats vont également dans le sens de ceux de Beauvois Pansu et Gangloff, pour qui les groupes sociaux favorisés, les cadres hiérarchiques ont un fonctionnement plus interne que les ouvriers et groupes socialement moins favorisés (Beauvois and Le Poultier 1986; Pansu 1994; Gangloff 2001).

De fait, même si nous ne pouvons lier directement le score d’extraversion avec l’accident, le lien entre le score d’infraction déclarée et l’accident et le lien entre score d’infraction et prise de risque semblent être des intermédiaires recevables pour lesquels nous confirmons une relation positive. Nos résultats confirment la tendance des preneurs de risque à avoir un score d’extraversion élevé. En revanche, nous ne pouvons conclure, comme Zuckermann, que les sujets qui prennent beaucoup de risques ont un score élevé en extraversion, ce qui reflèterait une tendance à surestimer leurs capacités physiques et, par voie de conséquence, à subir plus de dommages involontaires (Zuckerman 1979; Zuckerman 1994; Zuckerman and Kulman 2000). Comme le souligne l’équipe de Nyberg, les variables de personnalité mesurées dans notre enquête ne sont pas compatibles avec le concept d’accident proneness. Dans la réalité des faits, au niveau de l’individu, un score élevé sur une dimension n’implique pas systématiquement le même comportement : illustration sur les facteurs de risques individuels pour la chute accidentelle chez les personnes âgées (Nyberg and Gustafson 1996). En revanche, l’éloignement du déterminisme ne justifie pas l’abandon de l’étude des dimensions de la personnalité qui sous-tendent le comportement. Nous ne confirmons pas non plus de lien entre l’estime de soi (se considérer moins dangereux qu’un autre) et l’implication dans l’accident matériel et corporel mis en évidence par une autre équipe (Blincoe, Jones et al. 2006). Cependant, nous constatons un lien positif entre score d’infraction et prise de risque déclarée dans le sport et les loisirs. Le lien avec l’accident serait plus du domaine du mode de vie que du comportement situé (infraction). Cette distinction peut provenir du fait que l’infraction englobe des comportements du type de l’erreur et des comportements de l’ordre de la violation qui ne revêtent pas les mêmes schèmes.

Nous ne pouvons confirmer les moins bonnes performances des extravertis dans les tâches d’exécution, liées à la baisse de vigilance et/ou une moins bonne résistance à la monotonie. Le score supérieur à quatre pour un quart des stagiaires est symptomatique du déni qui peut rendre difficile l’écoute et l’introspection demandées lors des stages. Nous nous interrogeons sur le lien entre la sur-implication des stagiaires et le déni, voire la déresponsabilisation à court terme des conséquences de leurs actes et/ou le manque d’internalisation des règles.

À l’aide de l’AFCM et de la classification, nous apportons des éléments supplémentaires aux études de Drummond, de Corbett, Kouabenan et de Blincoe qui traitent du lien entre la perception du danger, la survenue d’accident, l’effet des croyances, des attitudes et de l’expérience sur la perception du risque (Corbett 2000; Drummond 2000; Blincoe, Jones et al. 2006; Kouabenan, Gandit et al. 2007). L’AFCM fait ressortir plusieurs dimensions de la personnalité, caractéristiques des sous-groupes de stagiaires. En tant que méthode exploratoire, elle nous conforte dans l’orientation de nos recherches sous l’angle de la personnalité dont les dimensions mesurées par le test d’Eysenck ressortent sur 3 des 4 quadrants.

L’AFCM et la classification ont permis de comprendre les liens entre les représentations du danger, de la sanction et de l’infraction chez les stagiaires. Commettre des infractions apparait chez eux relativement dissocié du danger ressenti (axes perpendiculaires). En outre, la probabilité de sanction est peu liée au fait de commettre les infractions. Nous pouvons dire que les stagiaires sont peu sensibles à la sanction (punition). Ce manque de sensibilité peut s’expliquer par leurs mécanismes de défense. En effet, l’intensité la plus grande de la conscience de soi est renvoyée par la punition. En ce sens, leur statégie défensive consiste à ne pas entendre la dissonance intérieure, ne pas se concentrer sur le soi et rester dans le faire. Les résultats de l’AFCM montrent, comme Malaterre l’annonçait déjà en 1970, que la répression n’a pas de prise sur le mode de fonctionnement des stagiaires, plus particulièrement pour le groupe des « coupables clairvoyants » qui assument le fait de commettre des infractions tout en reconnaissant le danger et la sanction, et ont un score E très élevé. Notre typologie des stagiaires se superpose à la typologie des infractionnistes « vitesse » de Corbett et Blincoe : leurs « conformers » sont nos victimes inconscientes, leurs « deterred drivers », nos victimes conscientes, leurs « manipulators » nos coupables clairvoyants et leurs « defiers » nos coupables inconscients (Blincoe, Jones et al. 2006).

Les résultats de l’enquête sur le mode de locus de contrôle sont contradictoires et difficilement exploitables. Les stagiaires ont un mode de locus de contrôle interne pour 62 % d’entre eux à la question n° 49134, contre 41 % des femmes et 59 % des hommes témoins alors qu’à la question n° 50135, les stagiaires ne sont plus que 38 % à avoir un locus de contrôle interne, pour 48 % chez les témoins. Les tendances observées sur ces deux questions sont donc inversées. La mesure du lien entre CSP et mode de locus de contrôle mesuré à la question n°49 sur les deux échantillons font apparaître que les stagiaires n’adoptent pas un mode de régulation particulier en fonction de leur CSP, alors que les témoins en position de cadre et sans activité ont un mode préférentiellement interne. Tandis qu’à la question n° 50 les cadres des deux échantillons montrent plus souvent un mode de régulation interne (55 % des stagiaires et 60 % des témoins). Parmi les stagiaires, la proportion des diplômés est nettement supérieure à celle de la population générale136, néanmoins, 45 % des stagiaires ont un faible niveau scolaire.

Les résultats de notre étude sur le mode de locus de contrôle ne sont pas concluants et ne permettent pas d’attribuer un style de raisonnement à l’un ou l’autre des échantillons. Bien que nous rejoignions l’opinion consensuelle qui admet le locus de contrôle comme une variable générale de la personnalité, nous nous rapprochons de la vision duelle de l’équipe de Montag (utilisation en fonction du contexte) ou/et de la vision duelle contextualisée d’Oskan (le savoir-faire relève de l’internalité et le savoir-être de l’externalité). Tout comme Gangloff, nous nous interrogeons sur la mesure de l’internalité et non sur celle de l’allégeance137, avec les questions n° 49 et n° 50 de notre questionnaire (issues de celui de Rotter) (Montag and Comrey 1987; Gangloff 2001; Ozkan and Lajunen 2005). Les nuances que nous relevons peuvent être à l’origine des différences relevées, au plan international, entre les études et plus particulièrement à propos des liens internalité/externalité et de l’implication dans un accident.

La route pardonne, l’événement malheureux arrive rarement mais lorsqu’il advient, il est grave. L’infractionniste procède de la théorie du gain, du renforcement et de la loi de l’effet qui incitent le joueur à rejouer et à augmenter la prise de risque en l’absence de sanction, l’accident étant la sanction ultime. Le stagiaire est plus joueur que son homologue témoin. Le comportement se définit alors comme une fonctionnalité de l’ordre de l’adaptation. Le sujet évoque préférentiellement un processus particulier qui devient « la tête » de son catalogue d’actions jusqu’à ce qu’un événement malheureux ou douloureux y mette fin. La loi de l’effet, également appelée principe de réalité, nous éclaire sur la fixation des conduites dont le point ultime correspond à l’addiction. S’installent alors et se renforcent les conduites qui amènent un résultat favorable. La non perception du danger peut alors être un mode de protection du sujet qui évite ainsi la dissonance et protège son équilibre.

Les stagiaires, hommes et femmes, déclarent plus souvent ne pas être heureux que les témoins et ont plus souvent des scores d’extraversion élevés. Aucune caractéristique psychologique ne subsiste indépendamment des autres facteurs, lors de l’analyse multivariée.

Le score d’infraction, une fois pris en compte le kilométrage, ne persiste pas comme facteur explicatif significatif. (Nous avons conservé le score d’infraction dans la régression logistique en variable d’intérêt).

Lors des analyses multivariées, le lien identifié sur le score d’extraversion en univariée chez les hommes n’est plus significatif. Cependant, cela ne signifie pas l’inexistence de ce facteur. Il nous semble impossible de conclure à l’absence des facteurs de personnalité, aussi bien pour participer à un stage que pour la sur-implication dans l’accident ; Il semble que les facteurs de personnalité soient plutôt pris en compte dans le mode de vie des sujets, qui agirait comme un facteur intermédiaire.

Chez les femmes l’analyse multivariée sur l’ensemble des facteurs de risque potentiels de participation à un stage fait ressortir uniquement des variables de représentations et comportements au volant, alors que pour les hommes, à ces variables s’ajoutent des caractéristiques hors exposition routière, relevant de la constitution de l’identité du sujet (jeunes, professions indépendantes, familles nombreuses, tabagisme).

La bibliographie relative à l’extraversion la qualifie de principale composante liée à la prise de risque (Twenge 2001; Field, Austin et al. 2002). Pour les stagiaires, il s’agit d’une tendance à l’action, avec prédominance de comportements émotionnels sur la pensée et l’intellectualisation (similitudes avec la typologie A)138.

Notes
134.

Question n° 49 : Choisissez entre les 2 propositions celle qui vous convient le mieux ou le moins mal :

- La plupart des choses désagréables dans la vie des gens sont dues en partie à la malchance

- Le malheur des gens provient des fautes qu’ils commettent.

135.

Question n° 50 : Choisissez entre les 2 propositions celle qui vous convient le mieux ou le moins mal :

- Les citoyens moyens peuvent avoir de l’influence sur les décisions gouvernementales

- Ce monde est dirigé par quelques personnes et nous ne pouvons rien faire.

136.

- Niveau de formation chez les plus de 15 ans- 59% CEP, CAP, BEP; 12% de baccalauréat et 29% supérieur au baccalauréat-.

137.

L’Allégeance est définit dans le chapitre sur locus de contrôle