4.3 Réflexionsen matière de préconisations

Les préconisations qui suivent sont issues des résultats de l’enquête ainsi que de la pratique d’animation. Elles revêtent des aspects préventifs, pédagogiques et règlementaires. L’identification des facteurs de risque d’accident est un préalable indispensable à la prévention et notre travail confirme la nécessaire distinction entre facteurs de risque (tels que identité sociale et genre) et exposition (nombre de kilomètres parcourus).

Il convient de distinguer la prévention en types : la prévention primaire (éviter l’accident), la prévention secondaire (en réduire les conséquences), la prévention active (qui requiert une intervention du conducteur) et la prévention passive. Au sein des mesures préventives, on discrimine les mesures éducatives, des mesures répressives et des mesures physiques, concernant les véhicules et les infrastructures. L’ensemble des mécanismes de prévention agissent de façon concomitante et ils ont pour objectif la rupture, au plus tôt, de la chaîne de causalité qui conduit à l’accident.

Nous sommes en accord avec les conclusions du rapport Dan, pour lequel les infractionnistes doivent être traités par des mesures spécifiquement adaptées qui s’ajoutent aux sanctions. En Autriche et en Allemagne, toutes les études d’évaluation, de 1997 à 2000, montrent un taux de récidive de 50 % plus faible pour les infractionnistes ayant suivi un stage, versus ceux qui n’en ont pas suivi (DAN 2000) p.88.

Nous en venons à nous interroger sur l’appartenance ou non des stages PAP au domaine de la prévention. Cette interrogation revêt un caractère identitaire pour l’animateur. Nous relevons une incohérence entre le fond et la forme. La temporalité de la perte de points et les sanctions afférentes font du stage PAP une action curative et non préventive, alors que le contenu se veut préventif. La présence en stage résulte du comportement passé dans l’objectif d’orienter différemment le comportement à venir. La dissonance cognitive de l’animateur et par voie de conséquence du stagiaire limite les effets positifs escomptés du stage. Aussi, avant d’envisager quelque apprentissage que ce soit, durant ces stages, il y a lieu de déconstruire certaines représentations.

Qu’il existe des facteurs de résistance psychologiques et sociaux qui freinent ou empêchent la mise en œuvre d’une relation positive entre risque d’accident et comportement est une hypothèse. Dans ce cas l’adoption de règles de prévention n’est possible que s’il y a conscience du risque. La forte résistance à l’intériorisation du risque rend difficile la mise en place de comportements préventifs. L’affectif, le social et le conatif (l’intentionnel, lié à l’émotionnel) permettent de comprendre la relation entre ce que l’on sait et ce que l’on fait, sachant que la relation entre connaissance, croyance et comportement est indirecte. L’origine des blocages peut se trouver dans les représentations que les usagers ont du risque au volant. Le déplacement du risque d’accident sur le risque de perdre son permis avec l’aspect social associé (emploi) modifie la représentation du risque. Le risque de perdre son permis doit être mesuré de façon fiable afin de juguler les effets dévastateurs associés au biais de conformité « tout le monde perd son permis » qui justifie à leurs yeux le comportement infractionniste et limite l’effet positif escompté.

La référence à la fatalité, mécanisme de protection qui permet de repousser la remise en question du sujet, s’oppose à la rationalité de la prévention. L’efficacité de la prévention devient très incertaine puisque l’usager pense que le danger ne lui incombe pas, mais qu’il relève des comportements imprévisibles et incontrôlables d’autres usagers. Il ne s’agit donc pas d’envisager les progrès, en termes de contenu technique de formation mais plutôt en termes d’interaction du sujet avec son milieu. Pour l’Autriche et l’Allemagne, le rapport européen Dan précise que le facteur « réflexion sur la personnalité en général » (p. 48) est le plus efficace pour réduire la récidive et, plus l’accent est mis sur les thèmes liés à la personnalité, plus le taux de récidive est faible (DAN 2000). Dans ce même rapport, l’analyse des mesures post-permis autrichiennes conclut que, pour prévenir la récidive, les interventions des psychologues sont plus performants que les formations purement techniques. Ils identifient clairement la spontanéité, la conduite émotionnelle, le comportement intolérant, une faible volonté de réfléchir sur son propre comportement au volant et la consommation d’alcool comme des facteurs de risque de récidive.

Cairney et Catchpole (1991), cités par (Charbit 1997) p.46, ont une opinion pessimiste à l’égard de la prévention. Ils estiment que les tentatives destinées à modifier les comportements en changeant les attitudes et les motivations, n’ont qu’un effet limité. Selon eux, les approches plus efficaces consistent à modifier l’environnement, afin de prendre en compte les aptitudes limitées des automobilistes, action de l’extérieur vers l’intérieur.

Notre conception de l’humain se heurte quelque peu à cette vision des choses qui consiste à changer l’environnement plutôt qu’à faire évoluer les humains qui les utilisent. Nous partageons plutôt la conception de Corbett, pour qui les changements de comportement peuvent résulter de changements internes à l’individu (modification dans les attitudes ou les croyances, telle que observée dans le registre du risque alimentaire à Fleurbaix) ou externes à l’individu (modifications de l’environnement physique, modifications du risque d’être arrêté, ou des sanctions en cas de condamnation (Corbett 1993). Les changements externes ont les effets les plus immédiats mais les changements internes sont les plus durables. D’ailleurs, un programme de diminution des risques comporte à la fois des objectifs à long terme et à court terme que la prévention et les modifications structurelles peuvent servir conjointement.

La prévention routière passe nécessairement par une introspection objective du rôle social associé à la « masculinité » – y compris chez les femmes stagiaires – dans une optique systémique. L’aspect affectif, social et conatif du sujet (en particulier dans sa relation à l’objet voiture) est un levier essentiel. Ainsi, les messages de prévention accessibles à tous ne sont pas appropriés de la même façon par tous. Pour faciliter la compréhension du monde, nous procédons par stéréotype (simplification par homogénéisation du groupe). La perception homogène du groupe « écrase » la particularité de l’individu et renforce le stéréotype. En un mot, le sujet raisonne sur une moyenne en oubliant la variabilité. Pour lui, les sujets d’un groupe extérieur au sien sont, soit mauvais soit bon sans état intermédiaire. Il oublie que dans ce groupe, il y en a de très bons et de très mauvais. Sans procéder à un étiquetage simplificateur, il s’avère que les stagiaires fonctionnent préférentiellement sur l’affectif et en viennent à nier la réalité pour survivre dans le système. Le système répressif n’a que peu de poids sur leurs comportements. Sans prise en compte de ces spécificités, la politique actuelle de répression risque fort d’atteindre son plateau. Il paraît donc primordial aujourd’hui de donner du sens à la répression en réaffirmant la formule classique des trois « E : Education, Engineering, Enforcement »145 qui définit ce que doit être une « bonne » politique publique de sécurité routière, (Hamelin, Pinsard et al. 2008) p.237. La règle des trois E vise la responsabilisation du conducteur par l’assujettissement à la norme. À long terme, l’accroissement des sanctions préconisées dans le modèle du risque de Pérez-Diaz est insuffisant pour modifier les usages dans le temps et l’espace, il s’agit donc de se créer les moyens pour que les règles soient internalisées (Perez-Diaz 2004). Une règle internalisée permet de juguler l’effet kangourou146 que la répression ne peut circonscrire.

Par sa dotation de trois radars pédagogiques (d’information des vitesses), le département de la Seine-et-Marne147 illustre la possibilité de décliner une politique nationale au niveau départemental, en laissant le versant répressif à l’état (contrôle) et en conservant l’aspect de prévention au niveau des préfectures. Toutefois, les élus ne souhaitent pas forcément être identifiés comme étant partie prenante d’une politique qu’ils ne maîtrisent pas. Nous n’adhérons pas à la suppression des panneaux de signalisation des radars qui pourraient permettre l’internalisation plus rapide de la règle du fait des effets positifs de ces derniers sur l’accidentologie. (en présence de panneau indicateur il est constaté une baisse des vitesses moyennes sur une plus grande distance qu’en l’absence de panneau). Le point d’ancrage sécurité routière ne permet pas d’envisager au profit du respect de la règle l’enlèvement des panneaux annonciateurs.

Notes
145.

Un programme de sécurité routière doit comporter trois composantes : 1) l’éducation, la formation et la prévention des usagers de la route ; 2) l’aménagement et l’entretien des routes ; 3) le contrôle et la répression

146.

Expression de Hway Liem Oei dans une étude menée aux Pays-Bas, citée dans Hamelin, F., E. Pinsard, et al. (2008). les radars et nous. Paris, L'harmattan logiques sociales. Il désigne le ralentissement des usagers à l’approche des radars automatiques et leur accélération une fois l’appareil dépassé.

147.

« La Seine-et-Marne se dote de radars pédagogiques », le Parisien, Seine-et-Marne Nord, vendredi 21 mars 2003, p. 12.