4.3.2 Préconisations de prévention

La sécurité routière dépend de deux cadrages cognitifs concurrentiels : un cadrage accidentologique et un cadrage financier qui ne doit pas être occulté. Des tableaux de bords fiables et précis des infractions, par type et lieux, pourraient être tenus, afin de dresser des profils d’infractionnistes et permettre le traitement, non pas des symptômes mais de la pathologie tout en en assurant l’acceptation et l’acceptabilité du système.

Une redevance forfaitaire d’occupation du domaine public en fonction du kilométrage parcouru peut également s’envisager indépendamment du nombre de points ; on conserverait ainsi l’équité, face à l’infraction et donc, par extension, face au risque d’accident pour soi et pour les autres ; la taxation serait fonction de l’usage (exposition). Les stations Sirédo (enregistrement du trafic et des vitesses) et le logiciel Concerto (outil statistique et de représentation graphique développé par la DDE permet, par l’exploitation des fiches BAAC, de visualiser les accidents par catégories et par types, au niveau du département) ainsi que les groupes de travail chargés de recherche dans le cadre du Document Général d’Orientation (DGO) 2008-2012149, les résultats des enquêtes pluridisciplinaires ECPA (Enquête Comprendre Pour Agir ; nouvelle appellation des enquêtes REAGIR) ainsi que les travaux des organismes de recherche en sécurité routière sont autant d’outils à mettre à contribution pour servir les objectifs de diminution des risques au volant, demandés par l’État. Le management en temps réel des usagers de la route, à l’aide de tableaux de bord, semble indispensable et permettrait de juguler la dimension agressive de l’usager. On envisage le traitement de la transgression qui relève de l’hypothèse de frustration/agression, selon laquelle le blocage d’un comportement (par la répression) par un acteur identifié engendre souvent l’agressivité.

En fonction de leurs participants, les stages doivent proposer une approche préventive diversifiée, tout en veillant au côté pervers des stéréotypes. En effet, si l’on médiatise sur un stéréotype, on peut s’attendre à ce que tous les sujets de la cible se décident à remplir le rôle que l’on attend d’eux. Le rôle social que détient un certain type de stagiaires, que nous pouvons appeler « entrepreneurs de la route », est conforme aux valeurs de réussite masculine véhiculées par notre société, alors que le deuxième type s’inscrit dans le déni.

Ross envisage la répression sous l’angle de la prévention.

‘[…] les mesures de prévention les plus efficaces sont celles qui accroissent considérablement le risque d’être contrôlé davantage que celles qui renforcent les sanctions pour un moindre nombre de conducteurs. (Ross, 1991), cité par (Charbit 1997) p.49.’

Il s’agit donc de travailler non plus sur la répression mais sur la médiatisation de la répression, associée à une présence sur le terrain pour mettre en place des ancrages. La simple présence de véhicules de police sur le bord des routes permet de réduire les vitesses de l’ensemble des conducteurs. Par ailleurs, un effet de halo est observé sur environ cinq kilomètres et des effets de rémanence subsistent entre 10 et 14 jours (Leithead, 1994, cité par (Charbit 1997) p 85). Précisons que le comportement individuel est également sous l’influence des pairs. Cette généralité s’illustre par le stationnement illégal qui, s’il est initié par l’un se propage rapidement (effet boule de neige), par imitation, et s’il n’est pas enrayé rapidement devient un comportement de masse. L’imitation apparaît comme un mécanisme fondamental de changement des comportements de masse. On observe alors des attributions différentes des comportements. Ceux de la majorité sont considérés comme émanant de facteurs situationnels, alors que les comportements plus exceptionnels sont considérés comme ayant une origine dans les caractéristiques de l’acteur.

Il apparaît qu’une relation commerciale entre les centres et les stagiaires n’est pas profitable à une action de prévention. Le PAP faisant partie du continuum éducatif, il nous semble préférable de dispenser ces actions de formation dans un cadre public, moyennant une participation financière du stagiaire. La sécurité routière est une préoccupation nationale dont on ne saurait laisser des organismes privés s’emparer. Étant entendu que, préalablement au PAP, les bases du contrôle de la violence et le style d’attachement sont appris pendant l’enfance et génèrent une « confiance de base » dans autrui qui conditionne la perception du danger et les comportements de mobilité. Cette problématique nous semble également transposable au permis de conduire dont la formation devrait relever d’une action de l’état ou au moins faire l’objet d’une forfaitisation (prix global fixé à l’avance, quel que soit le nombre de leçons). Ainsi, la formation à la conduite et l’examen final pourraient faire l’objet d’une budgétisation par les formés, dans le cadre d’un forfait tout compris qui permettrait de sortir de la dimension commerciale. Ainsi il serait clair que si le moniteur prescrit des heures de conduite supplémentaires, c’est dans une optique de savoir et de réussite à l’examen et non dans un souci de profit commercial.

En ce qui concerne la route, il semble souhaitable que l’enseignement du code, en plus de présenter des actions situées, les justifie et les rappelle dans le temps (formation continue), dans l’objectif du vivre ensemble (ce qui est difficile, étant donné que la perception du risque est auto-centrée). Si l’on espère un meilleur respect du code de la route, il y a lieu de l’enseigner comme un ensemble de règles morales qui ne sont pas simplement institutionnelles, et donc d’utiliser une méthode inductive, pour que les règles soient respectées même en l’absence de contrôle.

La méthode inductive permet une distanciation de l’action au profit de l’intériorisation. Nous ne pouvons donc faire l’économie de la justification multi-critères. M. A. Granié préconise l’apprentissage dès l’enfance, en termes de justification et d’explication d’interaction avec autrui et de préservation face au danger (Granié 2004). Elle émet une hypothèse, à laquelle nous nous rendons car ce type d’action éducative à des effets sur l’ensemble des comportements à risque : l’habilité sociale se développe normalement lors de la scolarité, toutefois, si les formations PAP sont considérées comme entrant dans un continuum éducatif, elles doivent aussi renforcer ces habilités pour ceux qui les ont, voire tenté de les développer pour les autres. Ces habilités relèvent du domaine de l’autocontrôle ; c’est-à-dire pour nous : attendre son tour de parole, se calmer, tolérer la frustration, écouter l’autre, s’interroger, se conformer à un cadre, comprendre cognitivement et affectivement le comportement de l’autre, prendre de la distance par rapport à sa propre personne. Des compléments de recherches sur le continuum éducatif doivent être menés, notamment sur l’aspect pédagogique et didactique du savoir-faire, non pas pour obtenir un permis de conduire mais en vue de le conserver, c'est-à-dire ne pas se faire exclure du système.

Dans un souci qualitatif, il semblerait nécessaire de légiférer sur un contenu pédagogique des formations en ce sens, ainsi que sur les critères de recrutement des animateurs, non pas en termes de « remplissage de formation à l’INSERR » mais en termes de qualité et de longévité dans le métier. Dans un contexte particulièrement difficile, il semble dommageable d’envoyer de jeunes animateurs, essentiellement des femmes sans expérience, face à un public d’hommes en pleine force de l’âge, dont les comportements sont particulièrement ancrés et les mécanismes de défense bien rigidifiés. Dans un tel contexte, deux modes relationnels principaux se dessinent, la séduction, dont nous ne saurions qu’avancer les dangers, et le maternage, difficile à maîtriser, dont le parallèle reste l’infantilisation.

Des pré-requis professionnels semblent nécessaires, préalablement au recrutement et tout au long de la phase d’exercice de l’animateur. Il semble nécessaire que, pour un psychologue, l’animation de stages PAP soit une activité annexe de son activité principale et non un « souhait ». En outre, afin d’éviter le monopole des grosses structures et les problèmes de planning et d’annulation de stages. Nous préconisons une sectorisation des animateurs ; en outre, la détermination d’une rémunération fixe d’intervention acquise à 50 %, en cas d’annulation permettrait d’assainir la situation.

Par ailleurs, le fait que pour les animations il soit fait appel à un psychologue n’est pas sans répercussion, non seulement sur le plan pédagogique mais également sur la capacité d’appliquer un programme, sans distorsion et aménagements. Par essence, le psychologue se distingue de l’opérateur qui applique une procédure. Il reste maître d’œuvre et évalue en temps réel les ajustements et cheminements nécessaires à l’atteinte de ses objectifs. Pour l’animation des modules PAP, les programmes de formation dispensés par l’INSERR définissent précisément une démarche, en termes de contenu et de temps. Bien qu’une homogénéité du système soit indispensable (un stage à Brest doit être semblable à celui de Marseille), cette vision reste théorique ; lors d’une animation, un même binôme, dans un même lieu, avec des groupes différents peut avoir un objectif préventif et introspectif alors qu’une autre fois, il aura un simple objectif de respect du cadre. En pratique, on constate des différences qualitatives, tant sur le contenu que sur la forme, du fait de la spécificité du psychologue et du groupe. Le bénéfice pédagogique et préventif des stages n’est pas acquis de fait à tous les participants, la présence de certains n’est que physique et ce, pour des étiologies variées et à cause de mécanismes de défense divers.

En ce qui concerne l’animation, le bénéfice de prévention est inversement proportionnel à la quantité d’informations données, notamment en matière de conduite, de permis et de règlementation afférents. Selon nous, en accord avec le rapport Dan, le stage le plus efficace serait un stage qui permette un retour sur soi et une introspection où il ne soit pas fait mention de moyen de transport (DAN 2000). Parler de véhicule et du système de déplacement rend difficile le sevrage à l’automobile, voire accentue la dépendance. D’autre part, l’apport d’informations et de contenu relève d’un mode relationnel de domination du formateur sur le formé favorable à l’infantilisation. Nous suggérons donc une orientation qui relève plus du domaine de la santé publique que de la sécurité routière. La route devient alors un simple prétexte au vivre ensemble qui donne l’opportunité d’interpeller le citoyen sur son mode de vie et ses valeurs. Les effets produits recherchés auront ainsi une incidence sur la citoyenneté, au sens général du terme et par là, sur la route. Un tel positionnement permettrait au technicien de la route de tenir pleinement son rôle d’animateur avec une fonctionnalité bien définie et éviterait l’usage du registre du savoir, sur un mode défensif.

La première étape d’une formation à mieux vivre le XXIe siècle consisterait à faire une pause dans sa conduite et, de façon plus générique dans sa vie, pour faire le point sur son propre mode de fonctionnement (état de fait sans jugement), puis à confronter ces derniers aux objectifs de vie personnels et collectifs pour, enfin, arriver à la mesure des écarts éventuels et à l’élaboration de stratégies adaptatives et de compromis. Il s’agit de trouver un langage du registre de la récompense, où le stagiaire en passant par la déconstruction arrive au final à une construction identitaire avec de meilleurs fondements que ceux préexistants. Les Allemands et les Luxembourgeois ont imaginé des récompenses.

Les premiers ont adopté un système de récompense par réduction de points de pénalité, à l’usage des infractionnistes volontaires qui s’engagent dans une démarche de changement, avec consultation d’un psychologue. Les seconds donnent la possibilité aux conducteurs novices de suivre un jour de formation, pour ne pas être soumis aux limitations de vitesse des jeunes conducteurs.

L’étiquette sociale paraît importante pour une grande part des stagiaires. Leur attribuer un statut de référent qui permet une reconnaissance et surtout, les responsabilités afférentes au bénéfice de la communauté peut constituer une perspective de développement. Afin que ce statut de référent ne soit pas un indice de ségrégation, ce dernier pourrait être accessible par ceux qui se définissent comme des professionnels de la route à partir de différentes mesures : la formation PAP, la formation initiale minimale obligatoire (type FIMO150) ou encore, la Formation Continue Obligatoire à la Sécurité (FCOS), pour les conducteurs de poid-lourds.

On pourrait également développer l’accès aux stages PAP à des personnes qui ne sont pas en perte de points mais qui veulent s’inscrire dans la prévention et avoir le statut de référent. La cible des grands-parents qui sont encore jeunes et disposent de temps pourrait permettre le développement de la conduite accompagnée. La position de référent devenant obligatoire pour pouvoir prétendre à l’AAC151.

La vulgarisation de l’AAC devrait permettre de limiter l’association entre accident et manque d’expérience (Berthelon, Nachtergaele et al. 2008).

La prévention sur les problématiques de la consommation d’alcool et de stupéfiants a surtout été orientée sur les jeunes, jusqu’à présent. Les 30 ans et plus se sentent donc moins concernés. Pour eux, l’alcool n’est incompatible avec la conduite qu’à partir d’un taux élevé et ils limitent l’interdiction à la consommation d’alcool le samedi soir en sortie de boîte de nuit. De prime abord, leur consommation modérée, lors d’invitations entre amis, ne leur paraît pas touchée par l’interdiction. Les problèmes de consommation d’alcool restent donc stigmatisés sur les jeunes.

Le système de prévention en matière d’éducation routière reste à inventer. Il faut innover en matière de règles d’action et de processus de contrôle social.

Les études de prévention sur les comportements de santé, notamment celle de Fleurbaix et Laventie menée de 1992 à 2007, les programmes d’éducation et d’instruction des japonais, diffusés dans la prison d’Hichihara (établissement pénitentiaire réservé aux infractionnistes de la route) peuvent constituer des référentiels qu’il reste à adapter aux conducteurs. Les programmes de prévention anglo-saxons à propos de la violence qui consistent à favoriser les habilités sociales émotionnelles et cognitives peuvent également faire l’objet d’adaptations.

Des recherches consistant à évaluer différents types d’intervention nous semblent indispensables quelles que soient les orientations et progrès envisagés. Une première partie d’étude consisterait à évaluer l’existant puis une seconde à établir une comparaison avec un groupe expérimental sur lequel une méthode particulière serait développée. L’impact peut s’évaluer sur des cohortes et par l’intermédiaire d’instruments de mesure de terrain (observation des vitesses, des pertes de points, des accidents…).

Le manque d’évaluation des interventions et de transparence, la presse quotidienne et les résultats de notre étude nous interrogent sur une éventuelle spirale du silence152, relative aux perceptions des usagers de la route (Noelle-Neumann 1997). Face aux nouvelles règles du jeu qui dénotent une fragilité potentielle du système médiatisé comme un consensus national autoproclamé, une politique publique doit être acceptée par tous les usagers, y compris et surtout, par ceux qui sont chargés de la mettre en œuvre sur le terrain. Nous considérons que l’opinion publique constitue une forme de contrôle social que l’on ne peut négliger, même si toute la difficulté de la sécurité routière réside dans le fait que chacun se définit avec ses connaissances partielles et lacunaires comme un expert en la matière. Il s’avère que les critiques du système portent moins sur le système lui-même que sur son manque de transparence qui lui donne un sens de lecture financier défavorable.

L’acceptation d’un système passe inévitablement par le fait que les usagers connaissent et approuvent les raisons sous-jacentes à son recours ainsi que ses modalités de fonctionnement [Delaney, Ward, Cameron et William 2005 cité, p. 56 (Hamelin, Pinsard et al. 2008)]. La sanction devant également être rapide et sure ou du moins très probable (Carnis and Hamelin 2007), cité, p.57 (Hamelin, Pinsard et al. 2008). Une mobilité des valeurs au sens de Durkheim(anomie), semble caractériser notre époque. Les sentiments « d’aliénation et d’irrésolution »153 associés donnent lieu à l’incompréhension de l’usager, au rejet du système, à son déni. La quasi absence de respect systématique de la règle de circulation ne garantit pas la régulation sociale et donne lieu à des débordements (en paroles et en gestes) sur la route. En outre, en termes d’équilibre psychologique, cet état amène l’individu à l’insatisfaction. Le manque de régulation actuel de la société sur l’individu nous interpelle. La route semble constituer une opportunité, un prétexte à saisir au service du vivre ensemble, sans pour autant annuler les mesures existantes.

On observe aujourd’hui une baisse du nombre des accidents en valeur moyenne, une baisse de la courbe du rendement des radars ainsi qu’une baisse de la « consommation » de véhicules qui, dans leur ensemble, dénotent un changement de comportement. Néanmoins, face aux arguments médiatisés et quelquefois erronés, incomplets, voire démagogiques : le droit de réponse de l’État est peu utilisé. Aux objections du système du type : « on ne peut plus conduire, plus personne n’a son permis », il est aisé de répondre par les chiffres du nombre de permis (plus de 38 millions), ceux en perte de points (7 412 633, selon nos calculs), le nombre d’invalidations (88 698), le nombre de permis qui recouvrent leur capital initial (1 431 057), renvoyant ainsi l’usager à la comparaison erronée à ses pairs. Pour ce faire, le fichier des permis doit être fiable et facilement exploitable.

Notes
149.

Le DGO 2008-2012 paru en mai précise l’engagement de l’état dans la diminution par deux du nombre d’accidents mortels dus à l’alcool, par trois le nombre de jeunes tués et par deux le nombre d’accidents mortels liés à l’utilisation de deux roues. Il précise la traduction concrète au niveau des départements. La diminution du nombre de victimes doit avoisiner en moyenne 8 % par an. Dans ce contexte, chaque département dans le cadre du DGO défini les orientations d’actions et la politique au sein du département pour contribuer à l’atteinte des objectifs fixés au niveau national

150.

La formation FIMO est une formation théorique et pratique au métier du transport routier

152.

La spirale du silence désigne l’installation d’un climat d’opinion tendant à marginaliser les opinions dissidentes, du fait des résultats favorables enregistrés ces dernières années quant à la baisse des accidents mortels, en particulier, et quant au lien explicitement établi par les pouvoirs publics et les médias entre la baisse des accidents et la répression.

153.

L’anomie est un terme introduit par Durkheim en 1893 qui désigne la désorganisation sociale liée à l’absence de normes communes. Pour lui, le suicide en est l’expression ultime qui comporte la perte et un effacement des valeurs couplés avec un sentiment d’aliénation et d’irrésolution