4.3 Interprétations, conclusion

Même si la participation à l’enquête était facultative, le très faible taux de refus s’explique par la « fuite » que permet le questionnaire lors de son « remplissage » en début de séance, il constituait alors une protection. Les refus (qui restent faibles) se traduisent par les non-réponses à chaque question.

L’AFCM a permis d’identifier deux modes de fonctionnement des stagiaires, les « victimes » et les « coupables ». Les premiers vont jusqu’au déni total et développent un « syndrome de Caliméro », refusant de prendre conscience du temps qui passe. Leur discours est ponctué de nostalgie. Ils ont arrêté le temps et veulent bénéficier des avantages de ce siècle sans en supporter les conséquences. Leur présence en stage est due, selon eux, au manque de chance et aux événements extérieurs (locus externe), mais en rien à leur comportement. En revanche les « coupables » sont conscients de leur jeu dangereux avec les règles, se justifient derrière leur place sociale et leurs contraintes, auxquelles ils adhèrent. L’ensemble des facteurs liés à leur classe sociale se transpose directement sur la route, comme si les responsabilités dans la vie professionnelle faisaient du sujet quelqu’un d’important qui possède un pouvoir et une place sur la route supérieurs aux autres.

Ulleberg (Ulleberg and Rundmo 2003) distingue deux groupes de preneurs de risque : les premiers favorisent les activités de désinhibition, les seconds la valorisation d’eux même. Les premiers possèdent un ajustement psychologique défaillant (anxiété, dépression, pessimisme, faible estime de soi) et favorisent une recherche de sensations, en particulier dans des activités de désinhibition (alcool, drogue, sexualité débridée…) ; ces sujets s’adonnent à des activités qui captent leur attention. Il s’agit d’une « fuite » de la conscience de soi. Dans notre échantillon (neuroticisme moyen) ce type n’est pas plus représenté que dans la population générale. En revanche les stagiaires « coupables » font partie du deuxième groupe identifié par Ulleberg, soit celui des individus « bien équilibrés » psychologiquement, avec une meilleure estime d’eux-mêmes que la moyenne. Ils recherchent dans les activités à sensations une valorisation qu’ils n’ont pas assez ailleurs, à leur goût. Ils sont dans une logique de compensation, nécessaire à la préservation d’une bonne image de soi. Ici le mode de fonctionnement est du registre de la construction de soi, par la maîtrise des situations. L’inscription dans le registre de la construction illustre le caractère très puéril des stagiaires en formation PAP.

Le test de personnalité a mis en évidence que les stagiaires diffèrent de l’étalonnage d’Eysenck sur le critère de l’extraversion. Ils sont significativement plus extravertis. L’extraversion constitue un système de motivation et de régulation de l’activation et du comportement d’approche. Ce système oriente les conduites vers les expériences agréables, suivies d’une satisfaction ou d’une récompense. La répression n’a donc pas de prise sur leur mode de fonctionnement, comme le confirme l’AFCM pour l’ensemble des stagiaires, et plus particulièrement pour le groupe des coupables clairvoyants (score E très élevé). La bibliographie sur le sujet (Field, Austin et al. 2002; Twenge 2002), qui montre que l’extraversion est la principale composante de la personnalité liée à la prise de risque, étaie nos résultats. Pour les stagiaires, il s’agit d’une tendance à l’action, avec prédominance de comportements émotionnels sur la pensée et l’intellectualisation (similitudes avec la typologie A).164

L’augmentation moyenne, ces deux dernières décennies, des scores d’extraversion dans la population (Field, Austin et al. 2002; Twenge 2002) interpelle sur l’évolution possible de l’accidentologie.

Sur l’échelle de mensonge, le score à 4 du dernier quartile des stagiaires interroge. En effet, Eysenck fixe le seuil limite d’interprétation pour tentative de dissimulation de la part du sujet à 4. Le déni est donc bien présent chez les stagiaires, ce qui rend difficile pour eux d’une part l’écoute et d’autre part leur introspection.

Ainsi il appert que le travail du psychologue lors des « sensibilisations » PAP revêt plusieurs modalités. Il s’agit avec certains stagiaires (« victimes ») de les aider à faire tomber leurs barrières et résistances psychologiques afin de les ramener à la réalité avec ses avantages et ses inconvénients. Avec eux il s’agirait de déconstruire. Deux jours de stage paraissent insuffisants pour ce faire, car l’objectif n’est ni individuel ni thérapeutique. Qui plus est, le centre de formation est dans une relation commerciale avec les stagiaires, comme avec le formateur ; la déstabilisation se doit donc de rester socialement acceptable tout en ayant comme objectif de modifier un comportement. Pour les autres stagiaires, il s’agit de les interpeller sur leur rôle social, leur mode de gestion de vie et du temps. Leur fonctionnement repose sur le bénéfice escompté de leurs actions à court terme avec un besoin de valorisation de l’ego. Ils sont plus ouverts au changement, pour peu qu’on les « materne ». Ils pourront changer dès que le bénéfice escompté des infractions leur sera moins évident.

Nous rejoignons les conclusions du rapport Andrea (ANDREA 2002) qui précise que les bénéfices des actions post-permis reposent sur la relation formateur-stagiaire. Nous soulignons toutefois l’amplitude de la tâche et l’orientation nécessaire plutôt sous l’angle de la récompense que de la punition.

Notes
164.

Friedman et Rosenman Type A & B behaviour (1974)