I.2.2. Apprentissage de la lecture et déficits en lecture

I.2.2.1. Apprentissage de la lecture

Tous les enfants du monde, indépendamment de leur langue maternelle, acquièrent l’essentiel de leur langue maternelle en un temps relativement court. Les aires cérébrales sous-tendant le langage se spécialisent progressivement au cours de la première année, et le vocabulaire explose et la grammaire se met en place dès la deuxième ou troisième année. Au moment où l’enfant apprend à lire (à l’âge de 5-6 ans) il est supposé posséder un vocabulaire de plusieurs milliers de mots, une présentation détaillée de la phonologie de sa langue et une maîtrise des principales grammaires, tandis que le système visuel ventral est probablement encore dans une période d’intense plasticité. Le système visuel se structure précocement. Dès les premiers jours de vie, le bébé apprend à faire des distinctions raffinées entre les visages de personnes qui l’entourent. Pourtant, ce processus de spécialisation semble continuer pendant au moins une dizaine d’années (Gathers et al., 2004; Brem et al., 2006).

Pour le processus d’apprentissage de la lecture, Uta Frith a proposé un modèle de la lecture à trois stades pour mettre en place, développer et automatiser les processus d’identification de mots (Frith, 1985); voir aussi (Gough and Hillinger, 1980; Gough and Walsh, 1991). Tandis que ce modèle est largement admis, la notion de « stades discrets » (i.e., chaque étape se met en place grâce aux acquis obtenus au cours des étapes précédentes) a été critiquée (Munakata et al., 1997; Rayner et al., 2001). Les contradicteurs ont proposé un processus non défini en stades d’apprentissage, en partageant les hypothèses fondamentales (Rayner et al., 2001).

Selon Frith, la première étape de l’acquisition de la lecture, qui survient vers 5-6 ans, est logographique . L’enfant essaie de reconnaître les mots de la même manière que des objets ou des visages. A ce stade, l’enfant ne décode pas la structure du mot. Il n’exploite que quelques indices visuels saillants et ne tient pas compte de la prononciation. C’est la raison pour laquelle à cette étape, la lecture de l’enfant est qualifiée de « pseudo-lecture » par voie brute visuo-sémantique.

Par la suite, l’enfant doit apprendre à associer des informations visuelles avec leur prononciation par le biais d’une procédure systématique de conversion des graphèmes en phonèmes (la voie graphème-phonème ). L’enfant s’entraîne à assembler ces phonèmes isolés ou complexes pour former des mots. Cette procédure se met en place au cours de la seconde étape de l’apprentissage de la lecture, l’étape  phonologique, qui apparaît au cours des premiers mois d’école.

Enfin, lors de la troisième étape, l’étape orthographique, l’enfant acquiert une lecture experte en mettant en place un vaste répertoire d’unités visuelles. Il lit les mots en utilisant « une seconde voie » de lecture (la voie lexicale ou lexico-sémantique ), qui vient progressivement supplanter la voie de décodage graphème-phonème. Lors de cette phase, les mots seraient analysés en unités orthographiques sans recours à la conversion phonologique. Une caractéristique significative de cette étape est la reconnaissance parallèle des mots, et que l’effet de la longueur du mot disparait.

Au niveau cérébrale, des études en neuroimagerie ont mis en évidence que le développement de la lecture est associé au moins avec deux patterns de changement dans les activités cérébrales : une activité augmentée dans les gyri temporal moyen et frontal inférieur, et une activité diminuée dans le cortex temporal inférieur droit (Turkeltaub et al., 2003). D’autres études, en potentiels évoqués, ont aussi montré que lors de l’apprentissage de lecture, pendant les deux premiers années, la réponse de l’onde N1 est réglée aux mots écrits (Maurer et al., 2006). Un réseau cérébral sous-tendant la lecture est formé assez tôt chez les enfants après une période courte d’apprentissage (Gaillard et al., 2003), bien que un processus de spécialisation semble continuer encore pendant une dizaine d’années (Brem et al., 2006).