I.2.2.2. La dyslexie

Même après plusieurs années d’apprentissage de la lecture, certains enfants peuvent présenter un trouble spécifique de son acquisition, et ce indépendamment d’autres troubles d’apprentissage. La dyslexie se définit par une difficulté durable et spécifique de l’apprentissage de la lecture, qui ne peut s’expliquer ni par une déficience intellectuelle, ni par un déficit perceptif, ni par d’autres facteurs environnementaux et/ou socioculturels. En France, on estime qu’entre 6 et 8% des enfants de CE1 souffrent de dyslexie (selon Expertise collective de l’INSERM : Dyslexie, Dysorthographie, Dyscalculie, 2007)

Au début du 20ème siècle, Morgan, Hinshelwood et Orton, parmi les premiers auteurs à avoir observé et étudié la dyslexie, l’envisageaient comme une pathologie visuelle, « une cécité congénitale aux mots » (voir Anderson and Meier-Hedde, 2001 pour revue). Selon eux, le système visuel des dyslexiques mélangerait et confondrait certaines lettres et en particulier celles qui se ressemblent en miroir (« b » et « p » ou « b » et « d »). Cependant, de nombreuses études de nos jours suggèrent que la majorité des enfants dyslexiques souffrent avant tout d’une anomalie fondamentale dans le décodage phonologique (Ramus et al., 2003; Leppanen et al., 2002; Maurer et al., 2003). Lorsque ces dyslexiques déchiffrent des mots, ils tentent bien de faire correspondre lettres et sons, mais leur maitrise défaillante de cette conversion les amène à commettre des erreurs. La plupart du temps, ils essaient de « deviner » le mot à partir des quelques indices perçus et accèdent au sens des phrases en s’appuyant sur ce décodage partiel. Bien que certains chercheurs catégorisent la dyslexie en deux types : « dyslexie phonologique », la forme la plus fréquente, et « dyslexie de surface », un type moins fréquent (Castles and Coltheart, 1993), ces deux types ne représentent que des extrêmes et dans les faits les manifestations des troubles lexiques sont souvent plus confuses et moins tranchées. Ainsi, il serait plus prudent de considérer ces variations comme des manifestations différentes des troubles sans invoquer ni de rupture qualitative dans les manifestations des troubles ni d'origine distincte pour ces "types". Il est alors évidemment intéressant de connaître les raisons sous-jacentes à la dyslexie.

Pour décoder les mots nouveaux, il faut d’abord mettre en correspondance les graphèmes avec les phonèmes et puis assembler les unités résultant du décodage pour accéder aux mots. Le premier processus nécessite des habiletés d’analyse phonémique et le second implique la mémoire phonologique à court terme. Les déficits cognitifs correspondants de nature phonologique résulteront donc en des troubles dyslexiques (Ramus et al., 2003). Par ailleurs, plusieurs études ont mis en relief des déficits de précision et de rapidité dans l’accès au lexique chez les dyslexiques (e.g. Wolf and Bowers, 2000). Tandis que certains chercheurs pensent que ces déficits s’expliquent par les compétences phonologiques (Morris et al., 1998), d’autres chercheurs suggèrent que ces déficits auraient une deuxième source, reliée à l’accès lexical (Wolf and Bowers, 2000; Allor et al., 2001). En outre, des déficits visuels/visuo-attentionnels ont aussi été observés chez les dyslexiques. Certains d’entre eux sont souvent associés avec les déficits phonologiques et donc on ne peut pas nier l’hypothèse que ces derniers soient la cause principale du trouble dyslexique. Pourtant, le déficit de l’empan visuo-attentionnel est associé à certaines dyslexies indépendamment de toute atteinte phonologique et donc favorable à l’hypothèse de l’origine multifactorielle des troubles dyslexiques (Bosse et al., 2007).

Des études récentes en neuro-imagerie nous permettent d’approfondir les études sur les mécanismes cérébraux de la dyslexie (pour revue voir Expertise collective de l’INSERM : Dyslexie, Dysorthographie, Dyscalculie, 2007). Tandis que chez l’adulte normo-lecteur les régions cérébrales impliquées dans la lecture de mots sont dominées par un réseau hémisphérique gauche avec deux circuits postérieurs (ventral et dorsal) et un circuit antérieur (Pugh et al., 2000; Demonet et al., 2004; voir Figure I.2), des études chez les dyslexiques ont mis en évidence une réduction de l’activité des circuits postérieurs. Une étude en TEP (Paulesu et al., 2000; Paulesu et al., 2001) chez des adultes dyslexiques de trois nationalités différents (anglaise, italienne et française), par exemple, a mis en évidence une sous-activation de la région temporale moyenne et inférieure gauche chez les patients dyslexiques par rapport à des contrôles, quelle que soit la langue (Figure I.2). Ces résultats rejoignent ceux rapportés dans des autres études chez les enfants ainsi que chez les adultes (Simos et al., 2000). Plusieurs études ont par ailleurs montré une réduction de l’activation dans les régions pariéto-temporales gauches lorsqu’un processus phonologique est impliqué dans la lecture (Shaywitz et al., 2002).

Figure I.2

En outre, les études anatomo-pathologiques ou morphologiques ont suggéré l’existence d’anomalies structurales dans ces régions. Une augmentation de la densité de substance grise dans le cortex temporal (Silani et al., 2005) ainsi qu’une plus grande anisotropie au niveau des fibres de la substance blanche sous-jacentes à la conjonction temporo-pariétale gauche ont été observées (Beaulieu et al., 2005; Klingberg et al., 2000); ces différences étaient en outre corrélées aux troubles de la lecture. Ces travaux suggèrent la possibilité d’une désorganisation précoce au cours du développement de cette région chez les dyslexiques, probablement en raison d’anomalies survenues au cours de la migration neuronale (Galaburda et al., 1985; Galaburda et al., 2006). Par ailleurs, bien qu’une sous-activation de la région frontale inférieure gauche ait été rapportée chez les dyslexiques dans certaines études (Paulesu et al., 1996), dans d’autre études une sur-activation de cette région est rapportée en réponse à des tâches de lecture, suggérant l’existence de mécanismes de compensation du cortex prémoteur visant à suppléer le dysfonctionnement des régions postérieures gauches (Shaywitz et al., 1998; Georgiewa et al., 2002).

Très récemment, Rauschecker et al. (2009) ont rapporté un cas de dyslexie (fille de 15 ans) qui avait été soigné à l’âge de 5 ans par radiothérapie pour une tumeur au cerveau. L’étude en tractographie a indiqué que chez cette fille il manquait les faisceaux arqués (AF) et les faisceaux longitudinaux supérieurs (SLF) dans les deux hémisphères, tandis qu’autres faisceaux de substance blanche (tels que le faisceau pyramidal et le faisceau occipito-frontal) restaient intacts. Malgré l’anomalie du faisceau arqué, l’enfant dyslexique gardait la capacité du langage oral avec un pattern normal d’activité dans l’hémisphère gauche. Ces auteurs proposent que l’anomalie des SLF serait la cause principale des déficits en lecture et visuo-spatiaux chez cette patiente, mais la perte du AF pourrait aussi constituer une cause du déficit en lecture.

Du point de vue de la génomique, des récentes études ont confirmé le caractère d’héritabilité des déficits dyslexiques, surtout concernant les troubles du langage écrit. A ce jour, en utilisant une technique d’interférence ARN in utero, 4 gènes candidats (DYX1C1, DCDC2 et KIAA0319, et ROBO1) ont été identifiés comme pouvant être associés à une susceptibilité génétique à la dyslexie, via leurs effets sur la migration neuronale (Meng et al., 2005; Paracchini et al., 2006). Pourtant il faut noter que tous les cas de dyslexie ne sont pas nécessairement d’origine génétique – ils seront le résultat de la combinaison des facteurs génétiques et des facteurs non génétiques (environnementaux).