I.2.3.2. Modèles neuropsycholinguistiques

L’étude sur localisation des aires cérébrales du langage a débuté au XIXe siècle grâce aux études sur la localisation des aires cérébrales du langage chez les aphasiques (Broca, 1864; Wernicke, 1874), se caractérisant par les observations cliniques des aires de Broca et de Wernicke. Paul Broca est l’un des premiers à établir un lien entre le langage et une partie postérieure de la circonvolution frontale inférieure de l'hémisphère gauche (l’aire de Broca), en autopsiant le cerveau d’un de ses patients décédés qui avait présenté une aphasie. On attribue généralement à l'aire de Broca un rôle central dans l'organisation du langage articulé. Une atteinte de cette aire peut entraîner une aphasie de Broca – le patient est incapable de formuler oralement ses idées alors que celles-ci sont intactes dans son esprit et la compréhension est peu touchée. Les symptômes de l’aphasie de Wernicke s'opposent à l'aphasie de Broca : tandis que le sujet a des problèmes de compréhension de la parole, la syntaxe et la grammaire ne sont que très peu touchées et l'articulation ne pose aucun problème (pourtant le discours est incompréhensible car dénué de sens). Le dommage fut identifié dans le cortex temporal supérieur gauche, et cette région nommée plus tard aire de Wernicke fut associée aux images auditives de la parole. Wernicke postula par ailleurs l’existence d’une connexion directe entre les aires de Broca et de Wernicke, et qu’une lésion de la matière blanche connectant ces deux aires provoquerait une incapacité à répéter un mot entendu, mais avec une capacité intacte de la compréhension et de la production. Ce type de syndrome de dysconnexion fut rapporté par (Lichtheim, 1885), et la connexion privilégiée entre le lobe frontal postérieur et le lobe temporal supérieur avait été décrite par Burdach et avait été nommée plus tard « le faisceau arqué de Burdach » (Bub et al., 1993; Springer and Deutsch, 1993).

Figure I. 9

La figure I.9 illustre le modèle neurolinguistique primaire au XIXe siècle. Selon ce modèle, la répétition de mots entendus impliquerait le cortex auditif primaire pour traiter les informations acoustiques, la connexion à l’aire de Wernicke et puis à l’aire de Broca via le faisceau arqué, et enfin le cortex moteur pour générer de la parole ; et la lecture impliquerait le cortex visuel, le gyrus angulaire, et puis les connexions entre le gyrus angulaire et l’aire de Wernicke et l’aire de Broca permettraient de faire le lien entre la forme visuelle d’un mot et sa forme auditive correspondante et la production de parole lors de la lecture à haute voix (Geschwind, 1965).

Dans ce modèle, donc, une région impliquée dans la lecture mais pas dans la répétition de mots entendus est le gyrus angulaire gauche, le siège du « centre visuel des lettres » d’après Déjerine (Dejerine, 1892; Bub, 1993 ; Damasio & Damasio, 1983 ;  voir aussi Chapitre I.2.2.3 sur l’alexie pure). En ce qui concerne la neuropsychologie de la lecture, la conception du « centre visuel des lettres » est une contribution de Déjerine, et cette conception a été plus tard modifiée comme « région de la forme visuelle de mots », ou bien « lexique » orthographique. Son siège anatomique, pourtant, reste disputé comme décrit plus tard dans le Chapitre I.2.4.

Si les études réalisées au XIXe siècle nous ont apporté des connaissances primaires sur le langage et ses corrélats cérébraux, elles restaient dépendantes de nombreuses contraintes telles que la grande variabilité (et complexité souvent à cause d’une association avec d’autre troubles) des cas cliniques et les limites des méthodes d’investigation. De nos jours, les modèles simples du XIXe siècle ne suffisent plus à expliquer certains cas neuropsychologiques et la recherche de modèles plus convaincants s’avère primordiale.