I.3.1.1. Révélation du dédoublement du cerveau et des lésions latéralisées

Les spéculations sur les conséquences de l’intervention chirurgicale sur le cerveau divisé/dédoublé (« split-brain ») ont explosé au XIXe siècle avec les écrits de Fechner, qui croyait que la continuité dans le cerveau est une condition essentielle à l’unité de la conscience et donc qu’un cerveau divisé devrait conduire à une sorte de dédoublement de l’être humain/la personnalité. Néanmoins, il considérait qu’il est impossible dans la réalité de séparer les deux hémisphères (Harrington, 1987).

Au début des années 1940, Erikson a figuré parmi les premiers chercheurs à observer la propagation des décharges épileptiques d’un hémisphère cérébral à l’autre chez le singe (Erikson, 1940). Il a conclu que la diffusion se produit largement par la voie du corps calleux – la plus large des commissures (faisceau de fibres nerveuses) reliant l’hémisphère gauche à l’hémisphère droit. Cela, avec d’autres observations à l’époque, a ouvert une nouvelle voie pour les traitements chez les épileptiques graves qui ne peuvent pas être soignés autrement – le dédoublement du cerveau.

Environ deux décennies plus tard, la chirurgie du dédoublement du cerveau (i.e. une commissurotomie complète sur des patients épileptiques pharmaco-résistants) réalisée par Bogen et Vogel (1962) était le premier grand succès montrant une réduction des crises des patients. Cependant, dans les études suivantes, ils ont observé que les patients n’étaient plus capables de nommer les stimuli présentés dans leur champ visuel gauche, tandis qu’ils rapportaient parfaitement tous les stimuli arrivant dans leur champ visuel droit (Gazzaniga et al., 1965). De plus, certains patients présentaient parfois des difficultés dans la vie quotidienne à contrôler le côté gauche de leur corps après la chirurgie (Gazzaniga et al., 1963) (pour une revue récente voir Gazzaniga, 2005).

Si la localisation de l’aire de Broca dans l’HG était avérée, il restait à savoir comment les autres fonctions linguistiques ou non-linguistiques sont latéralisées. Les patients au cerveau dédoublé offrent à cet égard une opportunité unique de répondre à cette question. Les études sur le langage chez des patients au cerveau dédoublé de différents groupes révèlent une cohérence (Baynes and Eliassen, 1997): La capacité de l’HG à contrôler la parole est la plus radicale et la plus fréquente dans les recherches sur ces patients. Certains patients sont capables de contrôler la parole avec l’HD dans la plupart des cas, mais cette capacité n’est pas présente immédiatement après l’opération, elle se développe au cours des années suivantes. De plus, le patient qui peut parler avec l’HD n’est pas capable d’identifier les mots qui riment avec ce même hémisphère. Dans l’ensemble, les patients peuvent apparier mot écrits et images avec l’HD ; l’incapacité de la plupart d’entre eux à sélectionner des mots qui riment suggère que l’HD est capable de décoder le mot au niveau visuel et d’accéder à sa signification, mais qu’il ne procède à aucun décodage phonologique, qui se produit dans l’HG. D’un autre côté, la dominance HG pour le langage chez ces patients au cerveau dédoublé est réduite par rapport aux témoins, et une contribution supplémentaire de l’HD est constatée chez les patients (Springer and Deutsch, 1993).

Les études sur le cerveau dédoublé, ainsi que les premières études de Hécaen et Zangwill sur les lésions latéralisées, amènent donc à deux grandes conclusions : la spécialisation hémisphérique complémentaire et l’indépendance hémisphérique relative (voir Gazzaniga, 2000). En d’autres termes, ces études ont montré que l’HG est spécialisé pour le langage et les capacités à résoudre les problèmes majeurs, tandis que l’HD est spécialisé pour l’attention visuo-spatiale, la reconnaissance des visages et d’autres fonctions (qui sont difficiles à catégoriser). D’un autre côté, cependant, chaque hémisphère est capable d’exécuter un grand nombre des mêmes tâches, l’efficacité de chacun pour une même tâche étant toutefois différente. Cela indique que la spécialisation hémisphérique n’est pas un phénomène de tout ou rien, mais présente un continuum.

Si ces études sur les patientes au cerveau dédoublé nous avons fournis les connaissances primaires sur la latéralisation fonctionnelle cérébrale, les études en neuro-imagerie pendant ces deux dernières décennies ont confirmé ces conclusions et nous permettent d’approfondir le connaissance sur la latéralisation fonctionnelle chez les individus sains (Knecht et al., 2000 ; Jansen et al., 2005).