I.3.3.1. Modèles génétiques

Divers modèles ont tenté de rendre compte des faits de latéralisation par un mécanisme purement génétique. Les plus célèbres de ces modèles sont le modèle « Right Shift » (RS) proposé par Annett et al. (1985), le modèle proposé par McManus (1985), et plus récent, le modèle « Rétrograde aléatoire » proposé par Klar (1996). Malgré les différences parmi eux, ces modèles ont tous proposé que la latéralisation est déterminée par un gène. Annett met l’accent par ailleurs sur le point que ce gène décide surtout la latéralisation cérébrale (à droit), et pour elle la latéralité manuelle (à gauche) est seulement une conséquence secondaire de la latéralisation cérébrale. Nous présentons brièvement le modèle « Rétrograde aléatoire » au-dessous.

Modèle « Rétrograde aléatoire ». A partir des données sur la latéralité manuelle et le sens de l’implantation des cheveux, Klar (1996) a montré que dans la population, 92% des personnes ont une implantation dans le sens des aiguilles d’une montre, or chez les gauchers cette proportion chute à 56%. D’après lui, cela signifie qu’il y a une partie de génétique à cette latéralisation. Autrement dit, il y aurait des prédispositions génétiques à être gaucher ou droitier (mais une part de hasard semble également jouer un rôle ou d’autres gènes encore inconnus). Klar avait donc proposé un modèle génétique « rétrograde aléatoire » (« random-recessive model »). Il propose qu’un seul gène avec deux allèles (qui peuvent être dominant « R » pour la latéralisation droite, ou rétrograde « r » pour une latéralisation aléatoire ou dit une perte de latéralisation directionnelle, et en conséquent donnent 3 génotypes : RR, Rr, et rr) contrôle la latéralité manuelle ainsi que le sens de l’implantation des cheveux  (Klar, 1996). Une étude suivante par Weber et al. (2006) proposé en plus que la dominance cérébrale du langage soit aussi développée sous cette origine génétique.

Une récente étude en DTCf (Jansen et al., 2007) a réexaminé l’association entre la latéralisation du langage, la latéralité manuelle et le sens de l’implantation des cheveux, sur la base d’un grand nombre de participants (1212 participants) y compris des participants avec le sens atypique de l’implantation des cheveux (donc en sens inverse des aiguilles d’une montre) ainsi que des participants avec la dominance atypique pour la langue (donc dominant HD pour le langage). Les résultats ont montré, malheureusement, qu’il n’y pas d’association évidente entre le sens de l’implantation des cheveux, la dominance du langage et la latéralité manuelle. Ainsi les auteurs concluaient qu’il n’existe pas d’origine génétique commune aux différentes asymétries.

Cependant, les vérités ne se présentent jamais clairement. Une autre étude par Geschwind et al. (2002) a examiné les volumes des lobes cérébraux d’HG et d’HD chez les 72 paires de jumeaux monozygotique (MZ) et 67 paires de dizygotique (DZ). Ils ont estimé les effets génétiques, les effets de l’environnement commun, en présentant probablement les événements in utero) et les effets de l’environnement non-partagé en réalisant les estimations de probabilité maximum (MLE, maximum likelihood estimation). Les résultats ont montré que les effets de l’environnement commun sont deux fois plus fort sur les volumes du lobe frontal et du lobe temporal dans l’HG que dans l’HD – en accord avec autres études, il y a moins de control génétique sur l’HG. En examinant les corrélations intra-classe de volumes cérébrales entre les paires de jumeaux RR (pour deux droitiers) et entre les paires de jumeaux non-RR (donc RL pour un droitier et un gaucher, ou LL pour deux gauchers), les auteurs ont montré que, les facteurs génétiques ont un effet sur les volumes hémisphériques cérébraux (surtout sur le lobe frontal gauche), deux fois plus fort pour les jumeaux MZ RR (deux droitiers) que les jumeaux MZ non-RR (RL ou LL). L’absence de cette différence entre les jumeaux DZ RR et les jumeaux DZ non-RR rassure que ce ne sont pas les effets des facteurs non-hérités in utero mais les effets génétiques. Ces résultats donc suggèrent une diminution de control génétique sur les volumes cérébraux dans les paires de jumeaux MZ non-RR, ainsi favorable au modèle génétique « rétrograde aléatoire ».

Pourtant il faut noter que dans les études mentionnées, les volumes des lobes et le sens de l’implantation des cheveux sont plutôt des asymétries anatomiques, tandis que la latéralité manuelle et plus particulièrement, la dominance hémisphérique pour le langage, sont des latéralisations fonctionnelles.

Les récentes études sur un grand nombre des participants sains ont suggéré que le degré de latéralité manuelle est linéairement lié à la latéralisation pour le langage : la probabilité de dominance HD pour le langage augmente avec le degré de latéralité manuelle gauche (voir aussi dans I.3.1).

Probabilité de dominance HD du langage = 15% - latéralité manuelle(%)/10

Bien que ce rapport linéaire semble tout simple au niveau mathématique, au terme de l’origine biologique ce n’est pas autant simple : il ne peut pas être expliqué par un seul facteur causatif, et une explication vraisemblable sera que la latéralité manuelle et la dominance du langage sont tous les deux déterminé par plusieurs facteurs (génétiques ou environnementaux), dont certains jouent un rôle pour les deux (Knecht et al., 2000).

Étant donné que les conclusions de ces précédentes études ne s’accordent pas parfaitement, l’origine (génétique, environnementale/culture ou les deux) des asymétries/latéralisations reste une question ouverte. D’un autre côté, tandis que le mécanisme génétique des latéralisations fonctionnelles de cerveau reste encore peu connu, ces dernières années, les études sur la régulation moléculaire ont beaucoup progressé sur le mécanisme de l’asymétrie anatomique du corps.