I.3.5. La latéralisation hémisphérique et l’asymétrie fonctionnelle du champ visuel dans la lecture

Un phénomène robuste dans un échantillon aléatoire de droitiers est un avantage du champ visuel droit (CVD) lors de la lecture de mots bilatéralement présentés : les mots présentés brièvement dans le CVD sont identifiés plus rapidement et plus exactement comparés aux mots présentés brièvement dans le champ visuel gauche (CVG) (Pour revue voir Brysbaert et al., 1996 ou Hellige, 1993). Un tel avantage du CVD a souvent été considéré comme la conséquence de la dominance hémisphérique gauche pour le langage (Bradshaw and Nettleton, 1983 ; Hellige et al., 1993).

Figure I.18

Regardons d’abord le traitement des stimuli présentés latéralement dans notre système visuel. Compte tenu de la structure du système visuel, la stimulation présentée à gauche ou à droite du point de fixation au centre du champ visuel permet d’adresser l’information initialement à l’hémisphère controlatéral et donc permettre de faire des inférences sur la spécification fonctionnelle des hémisphères et de recueillir des performances latérales (Hellige 1993 ; voir Figure I.18). Sur la base de ce principe, les différents stimuli visuels sont présentés pendant une durée brève dans le CVG et le CVD (ou seulement dans le CVG ou le CVD), l’exactitude et/ou le temps de réponse sont mesurés et analysés en fonction de l’hémichamp visuel stimulé. Etant donné que l’HG est dominant pour le langage dans la majorité de la population, il devrait faciliter le traitement des mots présentés dans le CVD. Pour cette raison, l’avantage du CVD a souvent été considéré comme la conséquence de la dominance hémisphérique gauche pour le langage (Bradshaw et Nettleton, 1983; Hellige et al., 1993).

Si l’avantage du CVD dans la lecture est la conséquence de la dominance hémisphérique gauche pour le langage (Bradshaw et Nettleton, 1983; Hellige et al., 1993) évidemment, un avantage du CVG sera observé chez les individus ayant une dominance HD pour le langage.

Si les méthodes directes et non-invasives n’étaient pas disponibles dans les études précédentes pour mettre en évidence cet effet de la dominance hémisphérique pour le langage sur l’avantage du champ visuel, le développement de techniques sophistiquées en particulier en neuroimagerie nous fournit des mesures directes et non-invasives pour évaluer la latéralisation hémisphérique. Hunter and Brysbaert (2008), par exemple, ont mené récemment une étude en comparant l’effet de position optimale du regard dans un mot (OVP) dans deux populations ayant une dominance cérébrale inversée pour le langage, et ils ont montré un effet prononcé de la latéralisation hémisphérique (identifiée par l’IRMf et/ou l’échographie Doppler transcrânienne fonctionnelle) sur l’asymétrie fonctionnelle du champ visuel.

Pourtant, il faut noter que depuis longtemps, d’autres explications ont aussi été proposées, telles que les propriétés langagières (Kirsner and Schwartz, 1986; Farid and Grainger, 1996), la direction de la lecture (Orbach, 1952; Faust et al., 1993); et l’attention (Efron, 1990; Nicholls and Wood, 1998) ) (pour une revue voir Brysbaert et al., 1996). Si les études précédentes ne s’accordent pas entre elles lorsque la dominance hémisphérique n’a pas été prise en compte, ces facteurs jouent-ils également un rôle conjoint avec la dominance hémisphérique? Cette question de longue date reste encore à clarifier.

Comme nous l’avons décrit dans ce chapitre, bien que la majorité de la population ait la même direction pour la latéralisation d’une fonction telle que le langage, la latéralisation atypique peut se trouver chez une minorité de la population, et au niveau de l’individu, la spécialisation hémisphérique pour les différentes fonctions n’est pas un phénomène de tout ou rien, mais présente un continuum. D’une part, on connait encore peu le mécanisme de la latéralisation cérébrale et son origine reste à découvrir; d’autre part, l’étude sur la latéralisation fonctionnelle cérébrale pourrait nous ouvrir une nouvelle voie pour étudier le réseau fonctionnel des aires cérébrales et pour expliquer la performance (e.g. en lecture), comme nous allons le décrire dans la section suivante.