Chapitre IV. La latéralisation cérébrale du langage et l’asymétrie fonctionnelle du champ visuel dans la lecture

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IV.1. Introduction

L’origine de l’avantage du champ visuel droit (CVD) est une question de longue date qui reste encore discuté à ce jour. Dans un échantillon aléatoire de population de droitiers, les mots présentés dans le CVD sont identifiés plus rapidement et plus efficacement que les mots présentés dans le CVG (e.g., Bradshaw & Nettleton, 1983; Bub & Lewine, 1988; Ellis, Young, & Anderson, 1988; Jordan, Redwood, & Patching, 2003; Koenig, Wetzel, & Caramazza, 1992; pour une revue voir Hellige, 1993).

Dans les études précédentes, plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer l’avantage du CVD, à savoir la direction de la lecture (Faust et al., 1993 pour revue), les propriétés linguistiques (Kirsner and Schwartz, 1986; Farid and Grainger, 1996) ou le biais attentionnel (ou l’avantage de balayage attentionnel) (Efron, 1990; Nicholls and Wood, 1998). Pourtant aujourd’hui, la plupart des chercheurs considèrent cet avantage comme la conséquence de la dominance hémisphérique gauche pour le langage (Bradshaw et Nettleton, 1983; Hellige et al., 1993). Le rapport entre la dominance hémisphérique pour le langage et l’asymétrie fonctionnelle du champ visuel dans la lecture, néanmoins, n’a pas encore été beaucoup examiné. Ceci résulte en partie de l’émergence récente (depuis ces dernières années) de méthodes non-invasives permettant d’évaluer la latéralisation cérébrale fonctionnelle (voir aussi Hunter and Brysbaert, 2008)

Grâce au développement des techniques d’imagerie, les études récentes sur un grand nombre de participants sains ont montré que la majorité des gauchers ont une dominance de l’HG pour le langage, tandis qu’environ 20% d’entre eux sont dominants HD (Knecht et al., 2000). Cette remarque pourrait, d’une part, rendre compte des effets de la latéralité manuelle rapportés dans les études précédentes (Kim et al., 1994), montrant un avantage réduit du CVD chez les gauchers. Les effets de la latéralité manuelle révèleraient donc les effets de la dominance hémisphérique. D’autre part, cela nous permet d’examiner, de manière directe et non-invasive, l’effet de la dominance hémisphérique sur l’asymétrie fonctionnelle du champ visuel dans la lecture. Hunter and Brysbaert (2008), par exemple, ont réalisé une étude en comparant des participants avec une dominance hémisphérique inversée pour le langage. Ils ont observé un effet typique de la position optimale du regard qui était localisée entre le début et le centre du mot; tandis que pour les sujets avec une dominance HG atypique, la position optimale était localisée entre le centre et la fin du mot. Cette étude a donc clairement mis en évidence l’effet de la latéralisation hémisphérique pour le langage sur l’asymétrie comportementale lors de la lecture de mots. Elle a également démontré l’effet de la dominance hémisphérique sur l’asymétrie fonctionnelle du champ visuel pendant la lecture ; pourtant elle s’est uniquement focalisée sur l’effet de la dominance hémisphérique et l’influence d’autres effets ne peut être exclue.

Dans la plupart des systèmes d’écriture, le début des mots est souvent plus informatif que la fin. Certains chercheurs ont donc proposé que l’avantage du CVD puisse être simplement dû à des raisons perceptuelles, puisque le début des mots présentés dans le CVD est plus proche du centre du champ visuel (Kirsner & Schwarz, 1986). Un autre facteur proposé pour expliquer la supériorité du CVD concerne les systèmes d’écriture alphabétiques utilisés dans les études, dont la plupart sont lus de gauche à droite. Ainsi, certains chercheurs proposent que l’habitude de lecture liée à ces systèmes puisse favoriser les mots présentés à droite du point de fixation. Pour répondre à cette hypothèse, des études ont été menées sur des systèmes d’écriture lus de droite à gauche comme l’hébreu et l’arabe. Cependant, les résultats ne s’accordent pas. Alors que certaines études ont observé un avantage du CVG dans ces systèmes d’écriture, cet avantage n’étant toutefois pas robuste,  d’autres études ont montré un avantage du CVD (pour une revue voir Faust et al., 1993). En résumé, ces résultats montrent que des systèmes d’écriture différents peuvent jouer un rôle pour expliquer une partie de la supériorité du CVD. En outre, l’effet de l’attention (le biais attentionnel) reste une hypothèse intéressante / importante bien que son mécanisme soit encore peu connu (Efron, 1990; Nicholls and Wood, 1998).

L’objectif de notre étude était d’examiner le rapport entre la dominance hémisphérique pour le langage et l’asymétrie fonctionnelle du champ visuel pendant la lecture, en comparant des individus avec une dominance hémisphérique inversée identifiée par l’IRMf.

Notre premier objectif était d’examiner l’effet de la dominance hémisphérique sur l’avantage du champ visuel lors de la lecture de mots présentés latéralement. Nous avons mesuré la dominance hémisphérique de chaque participant en IRMf : les 8 participants de cette expérience étaient clairement latéralisés (LI>0,75 ou LI<-0,75). Si la dominance hémisphérique du langage est le seul effet pouvant rendre compte de l’asymétrie comportementale, nous devrions observer un avantage du CVD chez les sujets avec une dominance HG typique ainsi qu’un avantage du CVG (d’un niveau d’asymétrie comparable à celui observé chez les sujets typiques) chez les sujets atypiques avec la dominance HD.

S’il n’existe en revanche pas d’avantage robuste du CVG chez les sujets avec une dominance HD atypique, cela indiquerait l’existence d’autres effets que la dominance hémisphérique. Dans cette optique, nous examinerons par la suite les effets liés au système d’écriture (la direction de lecture ainsi que les propriétés linguistiques telles que le début informatif des mots) en manipulant le format d’affichage des mots. Lorsque les mots sont présentés verticalement dans des positions ayant la même excentricité dans le CVG et le CVD (e.g. 1,25° et -1,25°), la distance horizontale entre le début de chaque mot et le centre de l’écran est identique;  de la même manière, le début et la fin de chaque mot se trouvent sur la même position horizontale. Par ailleurs, la direction de la lecture de haut en bas n’a pas d’effet sur l’asymétrie dans le sens horizontal. Ainsi, le fait de présenter les mots verticalement permet d’éliminer les effets de début informatif des mots ainsi que les effets de la direction de lecture. Si l’avantage du CVD peut s’expliquer par la combinaison de la dominance hémisphérique et des effets linguistiques, en éliminant ces derniers, nous devrions observer, pour les mots présentés verticalement, un avantage du champ visuel en fonction de la dominance hémisphérique, et donc un avantage du CVG aussi prononcé chez les sujets ayant une dominance HD pour le langage.

Etant donné le nombre limité d’individus dominants HD (N=4), nous avons testé un nombre égal de sujets dominants HG typiques, et nous avons réalisé une approche psychophysique (576 essais par sujet pour la condition horizontale) dans cette étude. Les ajustements gaussiens nous ont en outre permis d’améliorer les analyses des données.