V.1. La latéralisation d’activité OTv lors de la lecture et la latéralisation frontale du langage

En comparant les individus avec la dominance HG typique et la dominance HD atypique pour la production du langage, nos résultats en potentiels évoqués et nos résultats en IRMf étaient cohérents en montrant que l’activité de la région OTv pendant la lecture de mots est latéralisée dans le même hémisphère que les structures antérieures sous-tendant la production du langage. Cela suggérerait que la latéralité fonctionnelle de cette région lors de la lecture de mots soit une fonction de l’interaction avec d’autres structures sous-tendant le traitement des mots (Vigneau et al., 2005 ; Hillis et al., 2005) et ne dérive pas simplement de l’asymétrie hémisphérique du processus visuel du bas niveau (Cohen et al., 2000 ; Dehaene et al., 2005).

La nécessité de relier les informations orthographiques aux informations lexicales et/ou phonologiques pourrait rendre compte de la latéralisation de l’activité OTv dans l’hémisphère dominant pour la production du langage. Un tel lien est probablement établi précocement lors de l’apprentissage de la lecture et serait activé automatiquement lorsqu’on lit.

Bien que cette corrélation entre la latéralisation de l’activité OTv lors de la lecture et la latéralisation fonctionnelle des régions langagières frontales du langage soit assez cohérente chez les individus typiques, nous avons observé chez l’un des cinq participants dominants HD atypiques une dissociation entre la latéralisation de ces deux régions. Il est également intéressant de constater que les coordonnées du pic d’activité OTv (droit) d’autres participants atypiques étaient aussi plus variables que pour les participants typiques.

Une récente étude de (Lee et al., 2008) sur un grand nombre de patients épileptiques chroniques a montré qu’il existe peu de patients montrant une dissociation de dominance hémisphérique entre les fonctions langagières. En utilisant le test de Wada, ils ont examiné l’hémisphère dominant pour la production et la compréhension du langage, et le résultat a permis de distinguer 4 patients sur 490 qui manifestaient une telle dissociation de dominance hémisphérique entre ces deux fonctions. Cette dissociation, par ailleurs, n’est pas nécessairement liée à l’épilepsie. Elle a aussi été rapportée chez l’homme sain, mais très rarement. Le seul cas connu à ce jour et à notre connaissance est celui décrit par (Jansen et al., 2006a) d’un jeune homme sain de 26 ans, droitier sans antécédent neurologique ou psychiatrique. Chez ce sujet, l’activation de l’aire de Broca était typiquement observée dans l’HG, tandis que l’aire de Wernicke était latéralisée dans l’HD lors d’une tâche de fluence verbale.

Nos résultats, combinés à ceux d’études précédentes, semblent indiquer une plasticité neuronale dans notre cerveau. Une explication possible serait que malgré une liaison fonctionnelle entre les régions langagières antérieures et la région OTv dans l’hémisphère dominant indépendamment de sa latéralisation, une différence (probable) d’asymétrie anatomique, même légère, puisse moduler la réponse cérébrale tant au niveau des coordonnées que de l’intensité d’activation. Ce point sera discuté dans la section V.3.