V.2. La fonction de la région OTv dans la lecture de mots et son rapport avec l’expertise perceptuelle en lecture

V.2.1. La région OTv et l’expertise perceptuelle en lecture

L’expertise perceptuelle en lecture consiste en un traitement parallèle (des lettres) (Aghababian & Nazir, 2000 ; Bub and Lewine, 1988; Ellis & Young 1988) au niveau des mots (Coltheart et al., 1973, 1991 ; Morton & Patterson, 1980) ou dans un sens plus général, au niveau variable d’unités orthographiques familières plus petites que les mots, telles que des morphèmes ou bigrammes (Warrington and Shallice, 1980 ; Dehaene et al., 2005). Une « région de la forme visuelle des mots » a été proposée dans les modèles psycholinguistiques pour supporter cette expertise perceptuelle en lecture. Bien qu’elle soit discutée, la région OTv gauche a été proposée comme le site anatomique correspondant à cette région (dans les modèles psycholinguistiques) sous-tendant l’expertise perceptuelle en lecture (Dehaene et al., 2005 ; McCandliss et al., 2003 ; Cohen et al., 2008). Ce rapport a été testé dans notre seconde étude en IRMf en manipulant le format d’affichage des stimuli orthographiques. Dans un format d’affichage vertical, l’expertise perceptuelle devrait être éliminée même dans son sens plus général, parce que toutes les combinaisons de lettres sont non-familières (i.e. non-apprises) au niveau perceptuel, et ils ne devraient pas activer la région OTv gauche selon Dehaene et al. (2005).

Nos résultats chez les participants dominants typiques ont montré qu’il n’y a pas d’effet de cette manipulation sur l’activité OTv gauche (i.e. l’hémisphère dominant pour le langage), mais un effet prononcé sur l’activité OTv droite (hémisphère non-dominant). Par ailleurs, la région IFG guche pars opercularis, qui est supposée être impliquée dans la conversion graphèmes-phonèmes (Fiebach et al., 2002 ; Jobard et al., 2003), était recrutée uniquement pour la lecture de mots présentés verticalement. La région pariétale postérieure gauche était aussi recrutée pour la lecture de mots présentés verticalement, bien que cette activité n’ait pas passé le seuil significatif en comparaison avec l’activité pour les mots présenté horizontalement (discuté dans la section V.2.3).

En accord avec une étude sur le développement de la lecture chez les enfants (Turkeltaub et al., 2003), nous proposons une relation négative entre l’activité OTv droite (i.e. dans l’hémisphère non-dominant pour le langage) et l’expertise perceptuelle en lecture. Par ailleurs, cette activité OTv dans l’hémisphère non-dominant était comparable entre les stimuli mots et damiers, ce qui est en faveur de l’hypothèse selon laquelle l’activité OTv droite correspondrait plutôt à un mécanisme général de la reconnaissance visuelle (Turkeltaub et al., 2003). Combinés aux résultats portant sur la latéralisation, discutés dans la section V.1, les résultats de notre seconde étude, suggèrent donc que l’activité OTv, lors de la lecture de mots, résulte d’une intégration d’un mécanisme général de la reconnaissance de la forme (non latéralisé) avec les processus langagiers antérieurs latéralisés (à gauche).

Comme mentionné ci-dessus, l’activité OTv gauche (i.e. dans l’hémisphère dominant) ne reflète pas elle-même l’expertise perceptuelle en lecture mais reflète plutôt l’implication d’un réseau langagier dans la reconnaissance des mots. L’expertise perceptuelle en lecture reposerait probablement sur un désengagement de la région OTv droite (plutôt que sur une spécialisation de la région OTv gauche) et des ajustements/désengagements d’autres régions appartenant au réseau cérébral de la lecture, telles que la région IFG gauche et la région pariétale (ce dernier point sera discuté dans la section V.2.3). Le désengagement (ou plus exactement, l’activité réduite) de certaines régions cérébrales est supposé être associé à l’entraînement/apprentissage sur les processus reliés (e.g. Eriksson et al., 2008).