Partie 1
L’architecture du contrôle cognitif dans la schizophrénie
Un modèle hiérarchique des représentations d’actions dans le cortex préfrontal dorsolatéral

Introduction

La schizophrénie représente aujourd’hui un objet d’investigation à part entière des sciences cognitives et les progrès enregistrés dans ce domaine sont inestimables – même s’il tarde encore à leur trouver des applications thérapeutiques ou réhabilitatives directes. Conséquence de cette ligne de recherche féconde, il est à présent largement admis que les patients schizophrènes souffrent de troubles variés du fonctionnement cognitif. Au plan du handicap, ces troubles ont une incidence dramatique sur la vie quotidienne des patients ; c’est particulièrement vrai des atteintes observées dans le registre des fonctions dites « exécutives », lesquelles sont connues pour sous-tendre la mise en œuvre de comportements élaborés. Or, la plupart de ces troubles dysexécutifs résistent à l’action médicamenteuse, aux traitements antipsychotiques en particulier dont l’efficacité sur les symptômes caractéristiques de la pathologie est pourtant reconnue. En outre, ces troubles présentent une variabilité exceptionnelle sur laquelle achoppent la plupart des outils et des modèles courants de compréhension : souvent développés sur la base d’observations cliniques et à des fins de détection ou de quantification du handicap, ces modèles demeurent en effet souvent muets quant aux liens qu’entretiennent déficits exécutifs et mécanismes neurocognitifs sous-jacents. Or, l’atteinte de ces mécanismes pourrait contribuer, non seulement à l’émergence de ces déficits, mais également à celle des symptômes constitutifs de la maladie elle-même. Rater le détail de ces mécanismes pourrait donc conduire à manquer ce qui, dans la pathologie, fait la spécificité du syndrome dysexécutif.

Les deux études que nous présentons dans la première partie de ce travail n’ont pas été initialement conçues pour la pathologie, mais trouvent leur origine dans un travail qui vise à mieux spécifier l’organisation hiérarchique du cortex préfrontal dorsolatéral et des différents modules qui le caractérisent. Ce travail – inspiré d’un protocole conçu à l’origine par Etienne Koechlin et collaborateurs (2003) – représente néanmoins une alternative crédible aux modèles d’investigation traditionnels des fonctions dites « frontales ». Cette alternative consiste à se situer à un niveau d’analyse du syndrome dysexécutif qui autoriserait sa décomposition en régions spécifiques de dysfonctionnement. Dans la schizophrénie, cette « parcellisation » fonctionnelle du syndrome – par ailleurs validée par des observations conduites en neuroimagerie fonctionnelle – vise à mettre en évidence

i) les niveaux de fonctionnement exécutif spécifiquement atteints chez les patients,d’une part,

ii) les relations qu’entretiennent ces régions de fonctionnement avec des mécanismes cérébraux sous-jacents, d’autre part,

iii) enfin, l’implication de certaines anomalies cérébrales dans la genèse peut-être conjointe des troubles exécutifs et des symptômes caractéristiques de la schizophrénie.

Le paradigme que nous présentons dans les pages qui suivent tente précisément de satisfaire à ces exigences. Elles nous paraissent cruciales, tant au point de vue de l’efficacité diagnostique qu’au plan de l’élaboration scientifique de la maladie.