1.2 Le syndrome dysexécutif : un marqueur de vulnérabilité de la schizophrénie ?

Une altération des fonctions exécutives fait partie du tableau de la schizophrénie.Il est en effet admis, depuis les observations initiales de Bleuler (1911) et Kraepelin (1919), que les patients schizophrènes présentent de nombreuses difficultés pour organiser leurs actions. Celles-ci peuvent se traduire par des troubles de la planification du quotidien ou, de manière plus spécifique, par une incapacité à contrôler ses actions et les représentations qui lui sont associées (Frith, 1992).

Parce qu’ils se manifestent dans l’exercice d’une gamme variée de compétences souvent cruciales pour la conduite autonome de l’individu et pour la mise en œuvre de comportements adaptés, ces déficits ont un important retentissement sur la vie quotidienne du patient et en particulier sur sa vie professionnelle (Lysaker et al., 1997 ; Peuskens et al., 2005 ; Kurtz et al., 2005). S’ils ne peuvent expliquer toute la symptomatologie schizophrénique, ils sont néanmoins très fréquents dans cette affection (Sharma & Harvey, 2000) et sont reconnus pour affecter indifféremment les patients traités et non traités (Mortimer, 1996), chroniques et non chroniques (Hoff et al., 1992). Enfin, en raison de la fréquence et de l’étendue de leurs manifestations, il a été suggéré que ces troubles du fonctionnement exécutif pouvaient constituer un marqueur de vulnérabilité, voire un marqueur de trait de la schizophrénie (Zalla et al., 2004 ; Bozikas et al, 2006).

Il est aujourd’hui largement établi que le cortex préfrontal joue un rôle central dans l’exercice de ces fonctions cognitives de haut niveau que sont les fonctions exécutives (Miller & Cohen, 2001 ; Eisenberg & Berman, 2009, pour revue). Plusieurs études ont en effet montré que des lésions diffuses ou focales de cette région cérébrale affectaient considérablement les compétences exécutives de planification, de mémoire de travail et de prise de décision, ainsi que l’organisation temporelle des comportements volontaires (Shallice, 1988 ; Fuster, 1997). De fait, les troubles du fonctionnement exécutif observés dans la schizophrénie sont très souvent associés à des diminutions de l’activité préfrontale, en particulier dans sa région dorsolatérale (SPECT : Weinberger & Berman, 1996 ; IRMf ; Perlstein et al., 2003 ; Barch et al., 2001 ; MacDonald et al., 2005 ; Snitz et al., 2005). Cette « hypofrontalité » serait par ailleurs plus marquée chez le patient lorsque celui-ci doit réaliser des tâches requérant la mise en œuvre de compétences exécutives spécifiques (test du Wisconsin  : Volz et al., 1997 ; Tour de Londres : Andreasen et al., 1992 ; Stroop : Carter et al., 1997). Dans plusieurs études conduites en neuroimagerie structurelle, des altérations du volume de matière grise ont également été rapportées dans des régions sous-corticales fonctionnellement et anatomiquement reliées au cortex préfrontal (amygdale, hippocampe, striatum et ganglions de la base ; Velakoulis et al., 2006 ; Mamah et al., 2007 ; Wang et al., 2008). Selon certains auteurs, une communication inappropriée ou altérée entre ces régions sous-corticales et le cortex préfrontal pourrait rendre compte, plus spécifiquement, des troubles exécutifs dont souffrent conjointement les patients schizophrènes et certains patients frontolésés (Goldman-Rakic & Selemon, 1997). Le syndrome dysexécutif observé dans la pathologie ne serait donc pas explicable par un simple modèle de lésion focale du lobe frontal (Weinberger & Berman, 1996), mais exigerait de fait la contribution d’un réseau cérébral beaucoup plus large (Collette et al., 2005 ; Wang & Deutch, 2007).