1.3 Des outils pour évaluer les fonctions exécutives (planification, abstraction, attention et flexibilité cognitive)

L’origine historique des « fonctions exécutives » coïncide avec les premières tentatives conduites en neuropsychologie et en neurologie afin de circonscrire les fonctions du cortex préfrontal (Stuss & Benson, 1986, pour revue). Une grande variété de tests neuropsychologiques a donc été élaborée afin d’évaluer ces fonctions de haut niveau, tests qui ont fait leurs preuves dans de nombreuses pathologies neurologiques et psychiatriques, dont les traumatismes crâniens (Mattson & Levin, 1990), les maladies dégénératives (Dalrymple-Alford et al., 1994) et la schizophrénie (Mahurin et al., 1998). Les schizophrènes ont en effet des performances souvent comparables à celles des patients frontaux, en particulier dans les tâches requérant l’application de stratégies adaptées, la planification et la sélection de buts (tâches de la Tour ; Morice & Delahunty, 1996), la détection de règles et la formation de concepts (test du Wisconsin ; Laws, 1999, pour revue)ou la mise en œuvre de processus attentionnels de haut niveau (test de Stroop ; Hepp et al., 1996).

La spécificité des déficits évalués par ces batteries de tests ne fait néanmoins pas consensus, pour des raisons théoriques et méthodologiques sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Pour autant, la sensibilité de ces tests aux troubles des fonctions exécutives – dans la schizophrénie comme dans toutes les pathologies où elles sont atteintes – a depuis longtemps fait ses preuves :

Il existe plusieurs versions de la tâche de la Tour, mais elles sont toutes gouvernées par le même principe : déplacer un ensemble d’objet (des anneaux ou des perles) d’une position initiale à une position finale, et cela, en effectuant le moins de déplacements possibles. Cette tâche requiert de la part du sujet qu’il planifie l’ordre des déplacements qu’il effectuera, en respectant certaines règles fixées à l’avance (ne déplacer qu’un objet à la fois, par exemple). Dans les tâches de la Tour de Londres ou de la Tour de Hanoï, les patients schizophrènes réalisent un nombre significativement plus élevé de déplacements que les sujets contrôles (Morice & Delahunty, 1996). Ces difficultés pourraient refléter un déficit spécifique en planification, puisqu’il apparaît qu’elles ne sont pas imputables à un ralentissement moteur quelconque (Morris et al., 1995). Mais parce qu’elles requièrent de la part du sujet un ensemble de compétences variées (application de règles, inhibition de déplacements inappropriés, etc.), les tâches de la Tour pourraient toutefois ne constituer qu’une mesure aspécifique des capacités de planification (Marczewski et al., 2001).

Dans la version standard du test de Stroop, on présente aux sujets une série de mots, imprimés dans une couleur susceptible de ne pas correspondre à la couleur que ces mots désignent (condition interférente). La tâche consiste à nommer la couleur dans laquelle chaque mot a été imprimé (exercice qui requiert d’ignorer le contenu sémantique de ces mots). Parce qu’elle commande l’inhibition active d’une réponse automatique (une tendance à lire les mots plutôt qu’à nommer la couleur de ces mots), cette tâche a été considérée comme une mesure robuste des capacités d’attention sélective (ou « attention contrôlée »), et partant, du fonctionnement exécutif.

Dans la condition « interférente », de nombreuses études indiquent que les patients schizophrènes sont plus lents et font un plus grand nombre d’erreurs que les sujets sains (le patient ne peut s’empêcher de lire le mot écrit ; Hepp et al., 1996). Ces difficultés ont été interprétées dans les termes d’une sensibilité accrue des schizophrènes aux effets d’interférence couleur/contenu (et donc d’une perturbation des mécanismes inhibiteurs), puisque dans la condition « congruente » cette fois (contenu sémantique et couleur des mots coïncident), les performances des patients sont davantage améliorées que celles des contrôles (Perlstein et al., 1998, pour revue).

Le test du Wisconsin est sans doute la mesure du fonctionnement exécutif la plus largement employée dans le champ de la psychopathologie(Goldman et al., 1992). De manière très schématique, la tâche consiste à trier des cartes représentant des motifs simples, variant selon la forme, le nombre ou la couleur (« catégories »). La règle gouvernant le tri est choisie arbitrairement par l’expérimentateur, qui peut la modifier sans même en informer le sujet, dont la tâche consiste à induire cette règle par essais/erreurs successifs.

Dans le test du Wisconsin, les performances des patients schizophrènes révèlent des perturbations significatives en formation de concepts (subsumer les cartes présentées sous une même catégorie) et une flexibilité cognitive diminuée (erreurs de persévération en nombre élevé : les patients ont tendance à conserver la même stratégie lorsque celle-ci a fonctionné par ailleurs) (Van der Does & Van den Bosch, 1992, pour revue). Il a été suggéré que ces déficits pouvaient être associés, au moins partiellement, à des déficits plus fondamentaux en Mémoire de Travail (Goldman-Rakic, 1994), mais cette hypothèse fait encore débat (Stratta et al., 1997a ; Hartman et al., 2005).