3.3 Présentation générale de l’étude

Dans l’étude qui suit, nous avons adapté l’expérience de Koechlin et collaborateurs (2003) à un groupe de 24 patients schizophrènes et 24 participants non-psychiatriques, appariés en âge, sexe, latéralité et niveau d’éducation. La tâche proposée aux participants était une tâche d’association visuo-motrice de type ‘Go/No-go’, dans laquelle les participants devaient associer, selon certaines règles, des réponses latéralisées (bouton droit, bouton gauche d’un boîtier-réponse) aux stimuli qui leur étaient présentés (des disques dans la première tâche, des lettres dans la seconde). Les stimuli variaient sur plusieurs dimensions que les participants devaient impérativement prendre en compte dans la production de leur réponse. Dans la tâche « Disque », seule la couleur des disque variait (information sensorielle). Dans la tâche « Lettres », la couleur des lettres variait également (information contextuelle), ainsi que leur casse (Majuscule-Minuscule) et/ou leur type phonémique (Voyelle-Consonne). Chaque bloc était précédé d’une inscription détaillant explicitement le type d’association S-R à réaliser (propriété du stimulus > réponse gauche / réponse droite / ne rien répondre). Les instructions représentaient les informations épisodiques de la tâche ; elles spécifiaient, au début de chaque bloc, le ou les buts que le sujet allait devoir poursuivre durant l’épisode de traitement à venir (pour une description détaillée du protocole, voir Chambon et al., 2008, ci-dessous).

Nos prédictions étaient les suivantes. Si les troubles du fonctionnement exécutif observés dans la schizophrénie témoignent bien, en amont, d’une altération d’un ou de plusieurs niveaux du contrôle cognitif, alors nous devrions observer chez les patients une augmentation des taux d’erreurs (ERs) et des temps de réaction (TR) dans les conditions expérimentales modélisant les facteurs

i) « sensoriel » ? Ce niveau de contrôle pourrait être relativement préservé dans la schizophrénie, comme le suggèrent certaines études évaluant les performances des schizophrènes pour le traitement des informations sensorielles (tâche de discrimination de couleurs de stimuli ; Posada & Franck, 2002).

ii) « contextuel » ? De nombreuses études rapportent chez les schizophrènes l’existence d’un trouble majeur de l’exploitation du contexte. Cette perturbation est relativement bien documentée depuis les études princeps de Stroop sur la lecture chronométrée des noms de couleurs (1935). Dans cette tâche requérant l’inhibition active d’un contexte perceptif interférent (la couleur des mots est parfois différente de la couleur que ces mots désignent), les patients schizophrènes présentent en effet des latences et des taux d’erreurs plus importants que les sujets sains (Henik & Salo, 2004). Des résultats similaires ont été rapportés dans des tâches d’attention sélective, nécessitant à la fois l’inhibition active de distracteurs attentionnels et le traitement sélectif de cibles contextuellement pertinentes pour la tâche en cours (Cohen & Servan-Schreiber, 1992). La sélection des informations pertinentes et l’organisation globale de la réponse supposeraient de pouvoir se référer à une représentation cohérente du contexte que les patients schizophrènes ne parviendraient pas à élaborer, et dont l’absence pourrait expliquer, pour une large part, les troubles attentionnels maintes fois observés dans la schizophrénie.

iii) « épisodique » ? Selon Jones et collaborateurs (1991), les troubles cognitifs diffus dont souffrent les patients schizophrènes pourraient traduire un déficit central primaire pour le traitement et/ou l’intégration des informations passées. En outre, il a été suggéré que les difficultés des schizophrènes en matière de planification pouvaient ressortir d’une impossibilité plus fondamentale à mettre en œuvre les règles adéquates gouvernant la tâche en cours (Posada & Franck, 2002). Cette difficulté pourrait être associée à un défaut de représentation de l’information épisodique – lorsque celle-ci est définie par une règle, ou instruction, qui spécifie l’épisode de traitement approprié. Plus généralement, cette difficulté pour le traitement ou la restitution des informations passées pourrait faire écho aux perturbations de la mémoire dite « épisodique », déjà observées dans la schizophrénie (Heinrichs & Zakzanis, 1998, pour revue). L’un des processus-clé de cette mémoire est la capacité à lier entre eux d’une part les propriétés physiques de l’événement vécu, d’autre part l’épisode temporel ou le lieu dans lequel cet événement a survenu (memory binding). Il a été montré, par exemple, que les patients schizophrènes avaient des performances nettement altérées dans les tâches manipulant des informations temporelles (Rizzo et al., 1996) ou des fréquences d’apparition d’événements (Gras-Vincendon et al., 1994). Des perturbations identiques sont également observées dans les tâches de « reality monitoring », où le patient doit déterminer la source (lui-même ou l’expérimentateur) d’une information qui lui est présentée (Mechelli et al., 2007 ; Allen et al., 2007).

Le déficit des patients schizophrènes pourrait être plus saillant pour l’un ou l’autre de ces niveaux de contrôle. L’atteinte du niveau contextuel, par exemple, déterminerait, selon de nombreux auteurs, un profil cognitif très caractéristique de la schizophrénie (Cohen & Servan-Schreiber, 1992 ; Schooler et al., 2008). Nous avons donc comparé, dans l’étude qui suit, les performances des schizophrènes pour chacun de ces trois niveaux de contrôle ; nous avons également tenté de déterminer si ces performances corrélaient avec la sévérité de l’une ou l’autre des dimensions symptomatologique de la pathologie : productive (SAPS ; Andreasen, 1983), déficitaire (SANS ; Andreasen, 1984), ou de désorganisation.