4. Discussion (1)

L’hypothèse-clé du modèle de Koechlin et coll. (2003) s’articule autour d’une distinction cruciale entre processus de contrôle opérant selon le contexte perceptif ou l’épisode temporel dans lequel le sujet agit. Ces processus joueraient un rôle essentiel dans la planification, l’organisation et le contrôle on-line des comportements volontaires. Nous avons fait l’hypothèse qu’une altération localisée de l’un ou l’autre de ces niveaux de contrôle pouvait rendre compte des troubles du fonctionnement exécutif observés dans la schizophrénie.

Les résultats de la présente étude suggèrent que ces troubles pourraient dépendre d’une atteinte plus fondamentale des processus de traitement et de contrôle des informations de contexte (Chambon et al., 2008). Les patients schizophrènes présentent en effet d’importantes difficultés dans les conditions qui requièrent l’exploitation contrôlée d’indices contextuels – les niveaux de contrôle sensoriel et épisodique étant quant à eux relativement préservés. Ces difficultés se traduisent chez les patients par une incapacité à sélectionner les ensembles d’associations Stimulus-Réponse (droite si Consonne, gauche si Voyelle, par exemple) contextuellement pertinents, c’est-à-dire adaptés aux signaux contextuels entrants (la couleur des lettres).

Le contrôle contextuel est connu pour jouer un rôle crucial dans l’organisation hiérarchique du comportement : de notre capacité à exploiter les informations de contexte environnant dépend notre aptitude à sélectionner, parmi un ensemble d’actions concurrentes, les actions adaptées à ce contexte. Naturellement, la sélection d’actions contextuellement inappropriées peut causer certaines difficultés à planifier ou organiserlescomportements dans le temps, c’est-à-dire à ordonner hiérarchiquement les différents segments qui constituent la séquence comportementale en passe d’être exécutée (Koechlin & Jubault, 2006). Nous avons trouvé précisément que cette difficulté était, chez les patients, spécifiquement associée aux symptômes de désorganisation (pour des observations similaires, voir Kravariti et al., 2005). Cette observation invite à considérer les manifestations cliniques de la désorganisation comme résultant d’une incapacité, au moins partielle, à coordonner entre elles – à prioritiser – les différentes unités motrices qui composent la structure du comportement, moteur (séquence d’exécution de segments moteurs) comme verbal (séquence d’énonciation de segments linguistiques ou articulatoires).

Au plan organique, ce trouble spécifique de l’exploitation des informations contextuelles pourrait traduire l’existence d’anomalies cérébrales localisées, en particulier dans la région caudale du cortex préfrontal latéral (CPL) dont l’activité est en effet étroitement associée au contrôle des informations de contexte (Koechlin et al., 2003). Ces deux dernières décennies, le cortex préfrontal a été, chez le patient schizophrène, un objet d’investigation privilégié. La plupart des études rapporte à ce titre l’existence de dysfonctionnements majeurs dans de nombreuses régions du CPL, en lien avec des perturbations du traitement des informations contextuelles (Barch et al., 2001 ; MacDonald et al., 2003), des difficultés à manipuler l’information stockée en Mémoire de Travail (Cannon et al., 2005 ; Tan et al., 2006) ou à restituer convenablement cette information depuis la mémoire épisodique (Barch et al., 2002 ; Hofer et al., 2003).

En dépit de ces avancées significatives, néanmoins, l’architecture fonctionnelle du contrôle cognitif dans le CPL des patients schizophrènes reste encore mal spécifiée. Nous avons donc adapté, en collaboration avec Guillaume Barbalat, le protocole décrit ci-dessus en neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf) chez un groupe de 15 nouveaux patients schizophrènes et 15 sujets témoins. Nos prédictions étaient les suivantes : pour peu que les résultats de la première étude se confirment, nous nous attendions à observer chez les patients une modulation anormale de la région caudale du CPL, en association avec un trouble pour le contrôle des informations de contexte. Or, cette atteinte pour le niveau de contrôle contextuel pourrait ne pas être aussi localisée qu’elle y paraît, puisqu’elle persiste, voire est aggravée, lorsque que la tâche sollicite un contrôle épisodique accru (Chambon et al., 2008). D’autres régions de la hiérarchie corticale, dont la partie la plus antérieure de cette hiérarchie (région rostrale, BA 10), pourraient donc être impliquées. L’étude que nous avons conduit revêtait par conséquent un second intérêt : celui de déterminer si les troubles observés en matière d’intégration contextuelle témoignaient d’un dysfonctionnement circonscrit à la région dédiée au traitement du contexte (partie caudale), ou s’ils étaient redevables d’un problème de connectivité au sein de la hiérarchie de contrôle elle-même, entre les régions rostrales (épisodique) et caudales (contexte) – comme cela a été par ailleurs récemment suggéré (Yoon et al., 2008).