5.2 Du contrôle de l’action à sa compréhension

Comme nous le soulignions en conclusion de notre étude comportementale (Chambon et al., 2008), un déficit en matière d’intégration contextuelle peut avoir une influence dramatique sur le fonctionnement social des patients schizophrènes.

La régulation de nos interactions sociales dépend en effet étroitement de notre capacité à organiser nos actions dans le contexte de nos propres plans et objectifs, mais également dans le contexte des plans et des objectifs de nos congénères. Une incapacité (ou du moins une capacité réduite) à intégrer, dans nos propres plans d’actions, une représentation adaptée des intentions d’autrui peut favoriser l’élaboration de comportements bizarres, ou dissonants, comme ceux que l’on observe chez certains patients schizophrènes désorganisés. Cette incapacité pourrait également contribuer à l’émergence des troubles de la mentalisation fréquemment rapportés dans cette dimension de la maladie (Zalla et al., 2006).

Plusieurs travaux ont été conduits sur les liens probables que troubles exécutifs et défaut de mentalisation entretiennent dans la schizophrénie : les principaux symptômes productifs, par exemple, pourraient être redevables d’un défaut de contrôle de l’action volontaire, corrélatif d’une altération plus fondamentale de l’intention d’agir (Frith, 1992, 2004, 2005). Si cette hypothèse a donné naissance à une ligne de recherche extrêmement féconde, les résultats demeurent cependant assez controversés (McCabe, 2004, pour revue). Nous verrons dans la seconde partie de ce travail que l’association d’un trouble du contrôle cognitif de l’action avec un déficit en monitoring des intentions d’agir (les siennes, ou celles d’autrui) est une hypothèse qui se heurte à des insuffisances d’ordre méthodologique comme théorique. Une manière de résoudre ces insuffisances pourrait consister à explorer ces troubles de la mentalisation à la lumière d’un modèle hiérarchique de la cognition, semblable à celui que nous avons convoqué dans la première partie de ce travail. S’ils ont été longtemps circonscrits à l’étude du seul comportement normal, les modèles hiérarchiques font en effet, depuis peu, l’objet d’un regain d’intérêt pour l’étude des processus psychopathologiques (Fletcher & Frith, 2009, pour revue). Dans ce cadre, nous proposerons de reconsidérer les processus d’attribution intentionnelle comme de simples décisions élaborées « en cascade », et distribuées le long d’une hiérarchie corticale où se croisent les influences de traitements sub- et super-ordonnés. Nous insisterons ensuite sur l’importance de décomposer – comme nous l’avons fait pour le construit théorique des Fonctions Exécutives – les troubles de la mentalisation rapportés dans la schizophrénie en régions spécifiques de (probables) dysfonctionnements. Cette parcellisation du trouble implique de redéfinir la notion que les processus de mentalisation ciblent habituellement : l’ « intention », la mienne ou celle d’autrui. Plutôt que d’être unique, l’intention est en effet une notion composite susceptible d’être déclinée en plusieurs sous-types, de complexité variable (Pacherie, 2000, 2008). Susceptible, par conséquent, de mobiliser des processus neurocognitifs distincts, pouvant faire l’objet de perturbations spécifiques (Walter et al., 2009). L’étude de ces processus, normaux ou dysfonctionnels, fera précisément l’objet de la seconde partie de ce travail, dont nous proposerons d’interpréter les résultats à la lumière d’un modèle hiérarchique des représentations d’actions intentionnelles en 3ème personne.