3 La reconnaissance d’intentions : un cas particulier d’inférence probabiliste ?

Dans la schizophrénie, l’hypothèse d’un déficit en ToM est séduisante à plusieurs égards : d’abord cohérente avec l’observation clinique, elle est également étayée par un cadre théorique convaincant, dont l’un des développements majeurs est d’avoir reconnu l’efficience causale des états mentaux sur le comportement.

Cette hypothèse souffre néanmoins de carences conceptuelles importantes. Nous avons mentionné plus haut la nature de ces carences, qui s’expriment tant au plan théorique qu’au niveau de l’implémentation expérimentale des hypothèses. En effet, il ne suffit pas de présupposer que les états mentaux causent le comportement pour justifier une interprétation « mentaliste » du comportement ; il faut encore pouvoir disposer d’une typologie précise de ces états, et du rapport de causalité que ces états entretiennent avec le comportement observé. Une étude rigoureuse des capacités de lecture intentionnelle ne peut donc faire l’économie d’une évaluation graduelle de la notion d’intention, conduite à des niveaux de complexité variables – moteur (lecture des sous-buts de l’action), privé (représentation du but préalable à l’action), mais également social (compréhension de l’action dirigée vers autrui).

Nous avons vu que l’hétérogénéité des résultats observés dans la pathologie rendait nécessaire ce travail de « décomposition ». Nous verrons que ce travail est également d’une importance cruciale pour le débat qui opposent les simulationnistes aux partisans de la théorie-théorie, dont la stricte opposition se trouve en effet résolue dès lors que i) on ne néglige aucun des niveaux de la typologie mentale concernée, et ii) que l’on précise à quel niveau de cette typologie on se situe. Les processus de simulation (de type « miroirs ») et les concepts mentaux primitifs postulés par la théorie-théorie contribuent sans doute ensemble aux facultés de mentalisation : reste néanmoins à déterminer le poids de leur contribution respective, contribution qui pourrait dépendre du type d’état mental étudié, et de sa complexité relative. Par nécessité, nous plaiderons donc en faveur d’un modèle hybride des capacités de reconnaissance intentionnelle, mobilisant tantôt des processus perceptuo-moteurs de bas-niveau (de type « miroirs »), tantôt un ensemble de connaissances a priori permettant à l’observateur d’inférer, depuis l’expérience, l’ensemble des règles qui sous-tend le comportement observé.