5.4 Du système-miroir au réseau de la Théorie de l’Esprit (ToM network) : les bases neurales du mindreading

Le modèle hiérarchique de Kilner est particulièrement intéressant pour notre propos car il intègre à la fois des régions connues pour avoir des propriétés miroir (lobule pariétal inférieur : Fogassi et al., 2005 ; cortex prémoteur : Umiltà et al., 2001 ; Kilner et al., 2004) et des régions situées hors du système miroir humain (sulcus temporal supérieur postérieur : German et al., 2004 ; cortex préfrontal médian : Gallagher & Frith, 2003 ; Amodio & Frith, 2006). De fait, ce modèle autorise des prédictions assez fines sur les régions qui pourraient être impliquées dans l’attribution d’intentions – motrices, superordonnées ou sociales. Nous avons vu en effet que connaissances a priori et informations perceptives interagissaient au cours du processus de reconnaissance intentionnelle, et que la forme de cette interaction dépendait du typed’intention testé. Cette différence – dans le privilège accordé tantôt aux informations a priori, tantôt aux informations perceptives – devrait se traduire par l’engagement de régions cérébrales spécifiques.

Certaines régions sont en effet connues pour traiter préférentiellement les informations perceptives associées au mouvement biologique :c’est le cas du (1) sulcus intra-pariétal antérieur (AIPs), (2) de la partie postérieure du sulcus temporal supérieur (pSTS) et (3) du cortex premoteur latéral :

  1. AIPs : il est depuis longtemps admis que AIPs (Anterior Intra-Parietal sulcus) est sensible aux mouvements de saisie (grasping) visuellement guidés (Faillenot et al., 1997). Cette région est probablement l’homologue chez le singe de l’aire intra-pariétale (AIP), dont les neurones sont connus pour répondre à la fois aux composantes motrice et visuelle de la saisie manuelle (Sakata et al, 1995). AIPs est également recruté par l’observation des mouvements d’autrui (Bonda et al., 1996) et, plus récemment, il a été suggéré que cette région était sensible au but de l’action (Hamilton & Grafton, 2006).
  2. pSTS : le Sulcus Temporal Supérieur, dans sa partie postérieure, est une zone de convergence multimodale (Barnes & Pandya, 1992) recrutée lorsque les sujets observent les mouvements d’agents biologiques (Decety & Grèzes, 1998 ; Puce & Perrett, 2003). Au sein du pSTS pourrait siéger une dissociation fonctionnelle entre une sous-région qui contribuerait à différencier les mouvements biologiques des mouvements non-biologiques, et une seconde sous-région plus postérieure et inférieure qui répondrait indifféremment aux mouvements biologiques et non-biologiques (Pelphrey et al., 2003). Cette région est également sensible à certains aspects du contexte dans lequel le mouvement biologique est perçu (Pelphrey et al., 2003). Un nombre croissant d’études suggère néanmoins que le rôle du pSTS dans le codage des mouvements biologiques est une hypothèse trop réductrice, qui ne rend pas pleinement compte de la contribution de cette structure aux processus de reconnaissance intentionnelle en général. En effet, le pSTS est également sensible à la relation entre le mouvement observé et la structure de l’environnement, et coderait pour les séquences de mouvements dirigés vers un but présent dans l’environnement immédiat du sujet (German et al., 2004 ; Saxe et al, 2004).
  3. LPMc : il est aujourd’hui admis que le cortex pré-moteur latéral (Lateral Pre-Motor cortex) joue un rôle central dans la planification de l’action. Plusieurs études ont également mis en évidence l’implication de ses parties dorsal et ventral dans l’exécution et l’observation d’actions intentionnelles (Grèzes & Decéty, 2001). Sur la foi de ces observations, il a été suggéré que le LPMc appartiendrait au système-miroir humain (Iacboni et al, 1999 ; Iacoboni et al, 2005 ; Buccino et al, 2001). Comme l’aire intra-pariétale, le LPMc serait recruté lorsque le sujet exécute ou perçoit des mouvements articulés de segments corporels, indépendamment de leurs formats sensoriels, visuels ou auditifs (voir Overwalle & Baetens, 2009, pour revue).

Ces différentes régions (STS en particulier) pourraient naturellement être sensibles aux niveaux d’information visuelle que nous manipulons dans les 4 tâches de notre étude, et représenter les preuves sensorielles que l’observateur, durant la reconnaissance, accumule jusqu’à la décision finale. L’interaction que nous observons entre information visuelle et a priori suggère en outre que ces représentations visuomotrices de bas niveau pourraient subir l’influence modulatoire de régions superordonnées dans la hiérarchie corticale. Parmi ces régions, le cortex cingulaire antérieure dorsal (dACC) et le cortex préfrontal ventro-médian (vmPFC) en particulier retiendront notre attention.