Mindreading : dACC, vmPFC et templates intentionnels

Si le cortex prémoteur latéral, l’aire intrapariétale et le sulcus temporal supérieur sont liées entre eux par des connexions réciproques (cortex prémoteur/cortex préfrontal : Luppino et al., 1999 ; STS/cortex préfrontal : Seltzer & Pandya, 1994 ; Rushworth et al., 2006), ils entretiennent également des relations fonctionnelles avec des régions plus antérieures, dont le cortex préfrontal médian (mPFC) (Morecraft et al., 2004). Le mPFC – dont la partie antérieure du gyrus paracingulaire –, nous intéresse particulièrement dans la mesure où de nombreuses études pointent son implication dans une gamme variée de tâches de mentalisation, incluant la reconnaissance d’intentions superordonnées (Walter et al., 2004) et d’intentions sociales, de nature coopérative ou compétitive (Ciaramidaro et al., 2007, Gallagher & Frith, 2003 ; Amodio & Frith, 2006, pour revue). En règle générale, le mPFC est recruté lorsque les participants doivent considérer les états mentaux d’un tiers, seul ou en interaction, indépendamment du type de stimulus présenté (image, vidéo, histoire écrite ou verbale) ou des caractéristiques de l’instruction (Frith & Frith, 2003, 2006).

Que l’on retrouve de manière cohérente le mPFC dans les tâches requérant la lecture d’intentions superordonnées ou sociales (séquence articulée de sous-buts, réalisés seul ou en interaction avec un autre agent) suggère l’implication de cette région dans l’intégration de l’information perceptive courante avec 1) le but distant qui gouverne la séquence d’actes observée, et 2) les attentes préalables des participants sur le but visé par la séquence, formulées en vertu de leur expérience passée de ce type de séquence. Dans une étude récente, C. Summerfield et E. Koechlin observent en effet un recrutement du cortex préfrontal ventro-médian (vmPFC) lorsque les participants doivent apparier les informations perceptives d’une situation donnée avec le modèle a priori (template) qu’ils ont formé de cette situation (Summerfield & Koechlin, 2008). Le signal d’appariement, lorsqu’il survient, renforce les prédictions initiales du sujet et l’encourage à persévérer en direction du modèle attendu(voir également Koechlin et al., 2002). Cette observation est particulièrement importante, car, dans les tâches que nous proposons, elle s’ajuste parfaitement à la tendance qu’ont les participants à persévérer en direction du biaisqui leur a été imprimé, c’est-à-dire à répondre préférentiellement en direction des intentions dont la probabilité a priori est la plus élevée.

Certaines régions du cortex préfrontal médian pourraient jouer donc un rôle central dans la représentation, la maintenance ou la production des attentes a priori que les participants de notre étude manifestent pour les intentions en direction desquelles ils ont été biaisés10. Parmi ces régions, la partie rostrale antérieure du cortex cingulaire (dACC) mérite une attention particulière : dans une tâche de contrôle cognitif sous-tendue par une composante motivationnelle, Kouneiher et collaborateurs ont en effet observé que le dACC avait la propriété de potentialiser (energetize) les structures préfrontales latérales en vertu des demandes de la tâche et des événements passés enregistrés pas le sujet (Kouneiher et al., 2009). Dans la série de tâches que nous avons présentées ci-dessus, l’observation d’une interaction entre fiabilité de l’input visuel et attentes préalables des participants suggère un mécanisme similaire de « potentialisation » de l’information visuomotrice. Le cortex cingulaire antérieur pourrait jouer un rôle central dans ce processus modulatoire top-down : en présence de données perceptives incomplètes, le dACC favoriserait la prédiction, en relevant, sur la foi des attentes préalables de l’observateur, le niveau d’activation a priori des populations neuronales dédiées (« bonus au démarrage » ; Summerfield & Koechlin, 2008 ; Domenech & Dreher, en révision).

Notes
10.

Cette interprétation ne signifie pas nécessairement que le système miroir ne joue pas un rôle dans la représentation de ces attentes a priori (priors). Il a par exemple été suggéré que le système miroir était efficace (voire évolutionnairement adapté) pour la prédiction des états subséquents de séquences d’actions, une fois ces actions étant reconnues comme dirigées vers un but. Cette fonction prédictive des neurones-miroir pourrait participer à la compréhension, non seulement du « quoi » (what)de l’action (quel mouvement le sujet met-il en œuvre pour accomplir son intention), mais également du « pourquoi » (why) de l’action (pour la réalisation de quel but le sujet met-il en œuvre ce mouvement). Cette hypothèse présuppose néanmoins que la relation entre l’action et son effet (le but) soit connue à l’avance de l’observateur et qu’elle ne varie pas, ou peu (familiar action-effect association, Rizzolatti & Craighero, 2004 ; Csibra & Gergely, 2007). Or, l’utilisation de séquences commutatives (actions dont la position est interchangeable au sein de la séquence) devrait ici limiter le rôle potentiel du système-miroir dans la prédiction des intentions superordonnnées que nous manipulons. Dans cette condition, la référence accrue des participants à leurs priors pourrait d’ailleurs indiquer une manière de suppléer l’absence de prédictabilité interne des séquences.