6.5.1 Une architecture cérébrale des représentations d’action

L’événement que nous avons modélisé comme phase de « décision » commence à l’initiation du mouvement et se termine lorsque le sujet donne sa réponse (on fait ici l’hypothèse que la phase durant laquelle le sujet accumule des « preuves » visuelles sur l’action en cours fait partie intégrante de sa décision finale). Dans les conditions MOTOR et SUPRA, le processus décisionnel recrute – indépendamment de la modulation des facteurs ‘priors’ et ‘visual evidence’ –, un réseau de régions pariétales et frontales similaire à celui que l’on retrouve habituellement dans les tâches de reconnaissance d’intentions. Ce réseau est particulièrement cohérent avec l’architecture cérébrale des représentations d’action décrite par Grafton et Hamilton (2007). Dans cette architecture, la compréhension du but est la conséquence d’un traitement hiérarchisé de l’action qui suppose, à chaque niveau de la hiérarchie, l’engagement des régions dédiées

i) au traitement de la commande motrice (tendre le bras, ajuster la pince de saisie, etc.)

ii) au traitement de l’action que cette commande réalise (atteindre ou saisir un objet),

iii) à la reconnaissance du but proximal de l’action (tourner ou soulever un cube) et, le cas échéant,

iv) à la compréhension du but général de cette action (tourner ou soulever un cube pour construire une forme particulière)

Ces différents niveaux de représentation de l’action intentionnelle recrutent plusieurs régions cérébrales distinctes que nous retrouvons dans la présente étude, et qui incluent :

  1. le cortex pariétal supérieur postérieur, connu pour traiter les informations de kinématique bas-niveau (comme la trajectoire de la main ou la taille du grip),
  2. le sulcus intra-pariétal antérieur gauche (AIPs), classiquement associé à l’observation des mouvements de saisie manuelle (Faillenot et al., 1997) et à la détection des interactions but/objet (« what », Hamilton & Grafton, 2006),
  3. Le lobule pariétal inférieur (IPL), et
  4. le gyrus frontal inférieur (IFG), tous deux sensibles au but général (« why ») de l’action, comme cela a pu être mis en évidence dans un paradigme récent de répétition-suppression (Hamilton & Grafton, 2008 ; voir également Iacoboni et al., 2005). Enfin,
  5. le cortex prémoteur (PMC), dans ses parties dorsale et ventro-médiane, est souvent décrit comme un répertoire de représentations prémotrices recrutées à la fois par l’exécution et l’observation d’actions dirigées vers un but (Gallese et al., 2004). Le PMC jouerait à ce titre un rôle crucial dans l’accès aux intentions d’autrui, du moins lorsque ces intentions entretiennent des relations familières, ou stéréotypées, avec les actions qu’elles guident (Rizzolatti & Craighero, 2004).

L’implication conjointe de ces régions dans les conditions MOTOR et SUPRA suggère que les participants ont été sensibles au but immédiat (intention motrice) ou général (intention superordonnée) de séquences d’actions. Conformément aux hypothèses du réseau hiérarchique de Hamilton & Grafton, un masquage exclusif de activations SUPRA (but général) par les activations MOTOR (but immédiat) révèle un engagement plus marqué de IPL dans les conditions SUPRA, ainsi que le recrutement du gyrus frontal inférieur gauche (BA 45/48) et médian droit (BA 46/45). L’implication de l’aire de Brodmann 45 en condition SUPRA n’est pas étonnante : cette région est connue pour son rôle dans l’organisation hiérarchique des séquences, verbales ou motrices (Dominey et al., 2003 ; Fazio et al., 2009 ; Fadiga et al., 2009, pour revue ). Son recrutement dans les conditions SUPRA semble témoigner du fait que les participants ne se contentent pas de traiter les actes moteurs en isolation, mais les ordonne hiérarchiquement dans une séquence d’action plus générale, dont l’aboutissement est la forme construite par l’agent.

Enfin, un masquage exclusif des activations MOTOR par les activations SUPRA révèle, bilatéralement, l’implication du sulcus temporal supérieur (STS), dans une partie légèrement plus antérieure que celle habituellement retrouvée dans les tâches de reconnaissance intentionnelle, mais dont les coordonnées correspondent aux activations retrouvées dans les tâches d’imitation d’actions dirigées vers un but (Grèzes & Decéty, 2001 ; Filimon et al., 2007 ; Gazzola et al., 2007b). En général, la partie antérieure du STS code pour l’identification du mouvement per se (qu’il soit intentionnel ou non, voir Allison et al., 2000 pour revue). Son activation différentielle en condition MOTOR semble faire écho à la confiance accrue que les participants, dans cette condition, accorde aux informations de kinématique visuelle (contre leurs priors). En miroir, l’absence du STS en condition SUPRA pourrait rendre compte de la tendance qu’ont les participants à négliger l’information de kinématique visuelle et à répondre préférentiellement en direction du modèle a priori qu’ils ont formé de la situation (la forme attendue).