6.5.2.2 Le rôle du vmPFCdans la formation des templates intentionnels

Les conditions dans lesquelles l’action perçue réalise le but attendu devraient naturellement encourager les participants à persévérer en direction de leurs attentes. Cet appariement (matching) entre observation et représentation a priori pourrait rendre compte de l’effet durable des priors sur les performances des sujets. Comme nous le soulignons en introduction, le signal de cet appariement pourrait être pris en charge par le cortex préfrontal ventro-médian (vmPFC). Dans une tâche de décision perceptive, Summerfield et Koechlin ont en effet montré que le gyrus préfrontal ventro-médian (vmPFC) était spécifiquement recruté dans les conditions où l’observation s’ajustait aux attentes préalables des participants (Summerfield & Koechlin, 2008). Le signal de matching subséquent aurait pour effet de « booster » la confiance des participants dans leurs propres templates perceptifs.

Or, dans les deux conditions MOTOR et SUPRA, nous observons également une modulation par les priors de l’activité située dans la partie médiane du gyrus préfrontal ventral. En l’absence d’analyses de connectivité effective, il nous est pour l’heure difficile de déterminer dans quelle mesure cette représentation des priors au niveau ventro-médian exerce une influence sur la hiérarchie corticale en charge du traitement de l’information visuelle. On observe néanmoins que le vmPFC se comporte différemment dans les deux conditions intentionnelles de l’étude : tandis qu’il ne répond qu’aux priors des participants en condition SUPRA, son activité est également modulée par la quantité d’information visuelle en condition MOTOR.

Cette distinction nous semble importante, car elle pourrait expliquer la dépendance accrue des participants à leurs priors dans la condition SUPRA. Plus largement, elle pourrait constituer une signature cérébrale qui différencie les deux types d’intentions que nous manipulons.

Deux interprétations sont ici possibles. La première nécessite de revenir sur les propriétés individuelles de chaque type d’intentions. En condition MOTOR, l’acte observé (« tourner » par exemple) dénote en effet directement l’intention motrice sous-jacente (« avoir l’intention de tourner le cube ») : dans ce cas, il n’y a rien de plus dans l’intention que dans la kinématique perçue, puisque l’un dénote l’autre sans ambiguité. Cette relation bi-univoque facilite la comparaison, et le cas échéant, l’appariement entre l’acte perçu et l’intention attendue – ce dont témoigne ici la réponse double du vmPFC aux priors et à l’information de kinématique visuelle. Cette hypothèse se trouve par ailleurs confortée par l’implication des régions visuelles associatives (gyrus occipital médian et cuneus) dans la représentation de ces priors, mais également de régions prémotrices dont on soupçonne qu’elles possèdent des propriétés « miroir » (pre-SMA, BA 6). En condition MOTOR, la décision du sujet pourrait donc être modélisée comme le résultat d’un processus de comparaison directe entre l’observation et l’expectation : lorsqu’il y a match, la représentation d’action correspondante est sélectionnée et transmise aux régions motrices via un processus de résonance directe entre les propriétés visuelles de l’acte perçu et la représentation prémotrice attendue.

Or, en condition SUPRA, cette comparaison est compromise par la nature plus abstraite de l’intention considérée : la forme que les sujets doivent inférer n’est pas directement lisible dans les actes moteurs qui contribuent à sa réalisation. Le fait que la région préfrontale ventro-médiane ne code que pour les priors en SUPRA, et non pour l’information visuelle, pourrait traduire l’impossibilité de cette comparaison entre l’acte perçu et le but général attendu. En l’absence de tout appariement possible, les participants se référaient par défaut à la forme amorcée durant la phase de préparation. Leur réponse finale ne serait donc plus le résultat d’un processus de résonance directe entre l’observation et l’expectation, mais puiserait par défaut dans un répertoire contextuel de réponses congruentes avec la forme qui a été pré-selectionnée avant même le déclenchement de l’action.

La deuxième interprétation possible n’exclut pas la première : la partie médiane du cortex cingulaire, que l’on retrouve spécifiquement modulé par les priors en condition SUPRA, pourrait jouer un rôle central dans le court-circuit (shortcut) du processus d’accumulation de preuves visuelles, oblitérant par là-même le processus de comparaison. Ce court-circuit expliquerait l’absence de modulation par l’information visuelle de l’activité préfrontale ventro-médiane, ainsi que la tendance des participants à persévérer dans leurs attentes a priori même lorsque l’information visuelle augmente. Cette fonction de court-circuit est par ailleurs assez cohérente avec les propriétés fonctionnelles de cette région caudale du cortex cingulaire : elle entretient en effet des connections privilégiées avec la partie postérieure du cortex cingulaire (que l’on retrouve modulé par les priors durant la phase de préparation), mais également avec les régions pariétales qui codent pour l’information visuelle associée aux actions dirigés vers un but et avec les régions motrices du gyrus précentral (Beckman et al., 2009 ; Picard & Strick, 1996, 2001). Son emplacement dans la hiérarchie cingulaire, au carrefour des régions motrices et pariétales, en fait donc le candidat idéal pour interrompre le flux d’informations perceptives véhiculés depuis les régions pariétales supérieures et biaiser la sélection de la réponse motrice en direction du template intentionnel privilégié par le sujet durant la phase de préparation.