6.6 Conclusion préliminaire

Lorsque les priors intentionnels portent sur un niveau de représentation de l’action partiellement abstrait des afférences visuomotrices, nous observons ce qui s’apparente à court-circuitage du processus de comparaison entre action perçue et représentation attendue. En l’absence de comparaison, les participants se réfèrent par défaut aux templates qu’ils ont préalablement constitués. Ce mode de référence par défaut est à même d’expliquer pourquoi, lorsque le jugement intentionnel porte sur le but superordonné d’une séquence d’actions interchangeables, les participants continuent se de référer à leurs priors même lorsque l’information visuelle gagne en fiabilité. Pour être validée, cette hypothèse requiert néanmoins des analyses supplémentaires, en particulier des analyses de connectivité effective entre les régions cérébrales modulées par l’information de kinématique visuelle et les régions qui codent pour les priors des participants. Il serait également intéressant de déterminer plus précisément les liens fonctionnels entre ces régions ‘priors’ et les régions de la hiérarchie décrite par Grafton & Hamilton (2007), que nous retrouvons dans leur quasi-totalité dans la présente étude.

Nous avons choisi ici de ne pas insister sur les conséquences que les résultats – encore préliminaires – de cette étude peuvent avoir pour le débat qui opposent les partisans de la simulation, dans sa version « miroir », aux partisans de la mentalisation pure. Dans l’attente d’analyses supplémentaires, nous rappelerons ces résultats à titre indicatif : en premier lieu, nous observons que les priors des participants recrutent des régions extérieures au système-miroir (le mPFC en particulier) et plus habituellement retrouvées dans des tâches impliquant des jugement réflexifs sur des buts, des croyances, ou des problèmes moraux (Van Overwalle & Baetens, 2009, pour revue). Nous observons également que lorsque les participans doivent identifier l’intention sous-jacente à un acte moteur simple (« tourner un cube » par exemple), un processus d’appariement entre observation et expectation se met en place, processus qui s’apparente au processus de ‘résonance’ soutenu par les partisants de l’approche « miroir » de la simulation (Rizzolatti et al., 2001). En revanche, lorsque l’inférence est gouvernée par un but général (la forme construite) qui n’est pas directement lisible dans l’acte moteur observé, ce processus d’appariement est absent et l’on relève une dépendance accrue des participants à leurs attentes a priori.

Enfin, nous aimerions souligner le fait que l’implication des cortex préfrontal médian et cingulaire dans la prise en charge des priors, ou templates intentionnels des participants n’est pas surprenante en soi : comme nous le soulignons plus haut, le mPFC joue un rôle bien connu dans les jugement réflexifs d’actions (de Lange et al., 2008 ; Van der Cruyssen et al., 2009 ; Keysers & Gazzola, 2007). Mais au contraire de la jonction temporo-pariétale, responsable des inférences mentales transitoires, le mPFC soutiendrait l’attribution de traits et qualités durables (VanOverwalle, 2009). Or, la nature durable de cette attribution est particulièrement cohérente avec le caractère soutenu, et cumulatif, des influences top-down que les priors des participants exercent sur leurs propres jugements dans les deux tâches de la présente étude. Nous avons également de bonnes raisons de croire en son implication dans les tâches sociales (DUAL) que nous sommes en train de conduire, dans la mesure où ces tâches induisent des effets réputationnels durables auxquels le mPFC pourrait être particulièrement sensible (Amodio & Frith, 2006).