2. Le rôle essentiel des notables et de l’ « Œuvre du Christ dans la banlieue » dans le diocèse de Lyon du XIXème siècle à l’entre-deux-guerres

a) Le rôle des grandes familles lyonnaises dans l’équipement religieux de la grande ville

De grandes familles lyonnaises ont marqué profondément l’histoire économique de la région lyonnaise à l’époque contemporaine99. Or, plusieurs industriels ou grands commerçants catholiques ont directement financé des chantiers de construction d’églises dans une double logique : participer à l’encadrement moral et spirituel de la population ouvrière et concurrencer les positions de la gauche et de l’extrême gauche.

Quelques exemples suffiront pour rappeler l’implication du patronat lyonnais dans l’équipement religieux de l’espace urbain, notamment dans ses périphéries. Dans les années 1870, l’industriel François Gillet, un des grands patrons de la teinturerie lyonnaise, finance en partie la construction de l’église Saint-Charles-de-Serin et y organise le Cercle catholique des Patrons de Vaise100. À Gerland, la Cité paroissiale de Saint-Antoine, consacrée en mai 1934, a pu être construite grâce au patronage moral et financier de la famille Choppet-Rodet, qui a fourni les terrains sur l’avenue Jean-Jaurès, en face de l’école communale, dans un contexte d’affrontement et d’émulation entre catholiques et communistes. Cette famille de notables a été propriétaire du château de Gerland jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale. Ce sont également les Choppet-Rodet qui patronnent l’œuvre de bienfaisance des Apostoliques de Marie-Immaculée, affiliée à la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée, qui s’est implantée rue de Gerland à la fin des années 1920. Les pratiques charitables de ces « demoiselles », redécouvertes récemment, s’inscrivent dans le cadre d’une évangélisation de la « zone », dans un quartier en voie d’industrialisation rapide101.

Dans le quartier des États-Unis, c’est la famille Brosset-Heckel qui acquiert le terrain sur lequel se construit l’église Saint-Jacques à partir de juin 1936. Une Société immobilière est ensuite constituée, dont l’association « Les Amis de Saint-Jacques-des-États-Unis » devient locataire. Le président d’honneur de cette association qui se donne la charge de construire un lieu de culte sur ce terrain est Édouard Brosset-Heckel lui-même. En outre, le chanoine Maurice La Mache, directeur de l’École d’apprentissage supérieur implantée à proximité du quartier, a fourni gracieusement une salle de son établissement pour le patronage des garçons et la préparation à la communion de 220 enfants lors l’année scolaire 1935-1936102. Marius Berliet participe également au financement de cette église, dans un quartier où logent une partie des ouvriers de ses usines de Monplaisir103. L’industriel est plus directement à l’origine de la construction de l’église Sainte-Jeanne-d’Arc à Vénissieux, dans le quartier de Parilly, en fournissant le ciment et les matériaux nécessaires104.

À côté de ces notables catholiques lyonnais, c’est l’Œuvre du Christ dans la banlieue qui est le second maître d’œuvre des chantiers de l’entre-deux-guerres. Quelques éclairages peuvent permettre d’évaluer la place de cette association jusqu’à sa remise en cause en 1957 lorsqu’un Office diocésain des paroisses nouvelles (ODPN) est mis en place dans le diocèse.

Notes
99.

Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises, des Morin-Pons aux Meyrieux, du XIX ème siècle à nos jours, Paris, Perrin, 2003 ; Pierre Cayez et Serge Chassagne, Les patrons du Second Empire, Lyon et le Lyonnais, Paris, Éditions Picard et Cénomane, 2006.

100.

Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op.cit., p. 406.

101.

Vincent Lemire et Stéphanie Samson (dir.), Baraques. L’album photographique du dispensaire La Mouche-Gerland, 1929-1936, Laboratoire « Mémoires urbaines et archives ouvrières », Lyon, ENS Éditions, Cognac, Éditions « Le Temps qu’il fait », 2003.

102.

« Bénédiction de la première pierre de l’église Saint-Jacques, au quartier des États-Unis », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 3 juillet 1936.

103.

Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 570-571.

104.

Isabelle Lisowsky, « Marius Berliet », dans Jean-Dominique Durand, Bernard Comte, Bernard Delpal, Régis Ladous et Claude Prudhomme (dir.), Cent ans de catholicisme social en Rhône-Alpes. La postérité de Rerum Novarum, Actes du colloque de Lyon, 18-19 janvier 1991, Paris, Éditions ouvrières, 1992, p. 201-220, en particulier p. 216-217.