1. Ville et structuration du territoire diocésain

L’ordo de 1945 apporte des éléments de compréhension du territoire diocésain. Alors que l’archidiaconé de Saint-Etienne comprend « les arrondissements de Saint-Étienne et de Montbrison », de même qu’à l’archidiaconé Notre-Dame correspondent « les arrondissements de Villefranche et de Roanne », l’ordo précise que l’archidiaconé de Saint-Jean comprend « la ville et l’arrondissement de Lyon »113. Est-ce à dire que ce territoire est considéré comme particulier du fait de la présence d’un espace urbanisé ? L’archidiaconé de Saint-Jean compte vingt archiprêtrés. L’ordo ne fait pas apparaître explicitement le départ entre les archiprêtrés de la ville et ceux correspondant à l’arrondissement sans la ville. Il n’a pas été jugé utile de le préciser, ce qui est un premier indice. Seul le classement par ordre alphabétique du dixième au vingtième archiprêtré permet de saisir que les archiprêtrés relevant spécifiquement de la ville sont les neuf premiers nommés. Cette rupture dans la présentation du découpage est donc à peine visible et échappe sans doute à la grande majorité des lecteurs de l’annuaire.

Considérons les neuf archiprêtrés « urbains ». Ils comptent au total cinquante-trois paroisses. La très grande majorité d’entre elles sont situées sur la commune de Lyon (le numéro d’arrondissement étant précisé en face de chaque paroisse). Mais il y a quelques exceptions. Dans l’archiprêtré de Saint-Pierre-de-Vaise, la paroisse de la Demi-Lune est située sur la commune du même nom, alors que les quatre autres se localisent dans les 4ème et 5ème arrondissements. Dans l’archiprêtré de Saint-Denis à la Croix-Rousse, six paroisses sur neuf sont extérieures aux limites communales de Lyon : Saint-Clair, Sainte-Élisabeth, Cuire, Sainte-Bernadette, Caluire et Notre-Dame-de-la-Paix. Pour sept paroisses sur cinquante-trois, soit 13 % des paroisses, il n’y a pas coïncidence avec les limites communales de Lyon.

À l’inverse, les onze autres archiprêtrés de l’archidiaconé Saint-Jean correspondent-ils pour certains d’entre eux au moins à des périphéries urbaines de Lyon ? Deux de ces circonscriptions, les archiprêtrés d’Écully et de Saint-Genis-Laval, regroupent des paroisses situées sur des communes en voie d’industrialisation comme La Mulatière, Oullins ou Pierre-Bénite qui appartiennent déjà en 1945 à la proche banlieue lyonnaise. Au total, les vingt-trois paroisses localisées à l’ouest de Lyon qui composent ces deux archiprêtrés sont sous l’influence directe de la grande ville. Or, elles sont regroupées avec d’autres archiprêtrés ruraux et plus éloignés de l’agglomération, comme ceux de Mornant, Saint-Symphorien-sur-Coise ou Vaugneray114. Ce découpage par archiprêtrés s’inscrit dans un héritage ancien, qui a semble-t-il peu à voir avec les limites de l’espace urbain. La prise en compte de la ville dans la structuration du territoire diocésain ne paraît donc pas significative au début des années 1950.

Pourtant, il ne faudrait pas imaginer ce maillage figé : il est régulièrement soumis à des ajustements par l’autorité diocésaine. Les justifications données lors de ces modifications de limites de paroisses ou d’archiprêtrés apportent-elles des éléments nouveaux sur les représentations sur la ville à la tête du diocèse ? Pendant la guerre, un nouvel archiprêtré, celui de Saint-Maurice-de-Monplaisir, a été érigé à l’est du quartier de la Guillotière. La première justification donnée à ce nouveau découpage est la nécessité de mieux intégrer un « grand nombre » de paroisses - en fait quatre - créées dans ce quartier depuis le milieu du XIXème siècle : Saint-Maurice, Saint-Vincent-de-Paul, l’Assomption et Notre-Dame-Saint-Alban. A également joué un rôle, outre des raisons de commodité, la célébration imminente du centenaire de la fondation de la paroisse Saint-Maurice (en 1843) qui « fournit une occasion favorable »115. Cette création ne dépend pas d’un contexte urbain ou religieux particulier, hormis la volonté d’honorer la mémoire d’une fondation.

Entre 1947 et 1953, cinq modifications territoriales ont pu être repérées dans l’espace choisi pour notre étude. Leur analyse permet de dégager quelques informations intéressantes. Le faible nombre de ces ajustements souligne en premier lieu la permanence de la structure territoriale héritée de l’entre-deux-guerres. D’autre part, les vocables « ville », « agglomération » ou « banlieue » n’apparaissent à aucun moment, contrairement aux termes « quartier » et « région », sans doute plus commodes d’utilisation et à géométrie variable. L’ordonnance du 11 janvier 1948 érigeant la paroisse de Notre-Dame-de-Lourdes dans l’archiprêtré de Saint-Pierre-de-Vaise, au nord de la ville, évoque ainsi « la région de Pont d'Écully et de Vaise-Campagne »116. La modification des limites paroissiales de Vaise et de l’Annonciation le 29 décembre 1948 intervient à propos du « quartier situé à l’ouest du chemin de fer Lyon-Paris »117. De la même façon, celle du 24 mai 1952 créant la paroisse de Sainte-Marie-de-la-Guillotière mentionne « la région de Notre-Dame-Saint-Louis, de Saint-Maurice et du Sacré-Cœur, à Lyon »118. Cela étant, même si elle n’est pas nommée, c’est bien la croissance urbaine qui est prise en compte dans les deux derniers cas cités : il s’agit à chaque fois d’adapter le maillage territorial au « développement de la population » dans ces espaces.

Certaines ordonnances font apparaître un vocabulaire géographique qui met en évidence les enjeux propres à la ville. C’est le cas de l’ordonnance créant l’archiprêtré de Saint-Martin-d’Oullins le 4 juin 1948 dans le canton de Saint-Genis-Laval. Le texte épiscopal débute par un constat qui relève autant d’une logique spatiale que strictement pastorale : « Considérant la valeur des raisons alléguées en faveur de cette création, la facilité pour les prêtres de certains paroisses à se rendre à Oullins, l'opportunité qu'il y aurait à réunir les paroisses à population plutôt urbaine, à tenir dans ce nouveau centre les conférencesecclésiastiques […] ». Déjà repérées par Paul Chopelin et Pierre-Yves Saunier pour des périodes antérieures dans l’histoire du diocèse, il faut retenir ici les notions de centralité et d’accessibilité. D’autre part, l’ordonnance évoque une ouverture vers un nouveau mode de classification des paroisses qui s’appuie sur la distinction rural/urbain (« paroisses à population plutôt urbaine »). Elle est certes formulée sur le mode conditionnel, de façon hésitante et incertaine. Mais elle se dit sur le registre de l’intuition, comme s’il s’agissait d’une voie possible vers une pastorale qui, à l’occasion de cette création d’archiprêtré, pourrait être remaniée et davantage pensée en fonction de la réalité urbaine.

De même, la décision de transférer la paroisse de Beaunant de l’archiprêtré de Saint-Genis-Laval vers celui de Saint-Martin-d’Oullins en octobre 1949 mérite d’être citée au moins partiellement, car elle est justifiée par une véritable réflexion géographique : « Considérant que la population de la vallée de Beaunant est aux trois quarts composée de gens travaillant à Oullins et à Lyon, et qui se trouvent en dépendance directe d'Oullins si bien que les principaux quartiers de Beaunant sont une extension et un prolongement d'Oullins ; que d'autre part les voies de communication imposent un contact perpétuel avec Oullins […] ». La justification donnée au transfert s’appuie sur un triple constat. Il y a d’abord le repérage de migrations pendulaires domicile-travail qui faussent la pertinence des limites communales. Cette mobilité crée d’autre part des relations entre les espaces et introduit des rapports de domination et d’emprise spatiale. Enfin, l’observation d’une continuité par le jeu des transports suppose une vue d’ensemble assez claire du tissu urbain et relève très probablement d’une consultation fine de cartes géographiques.

Faut-il en conclure à partir de ces deux ordonnances que la distinction rural/urbain entre en considération dans les stratégies pastorales au tournant des années 1940-1950 ?

Notes
113.

Ordo du diocèse de Lyon, 1945, p. 32, note 1.

114.

Ordo du diocèse de Lyon, 1945, p. 32-47.

115.

« « Ordonnance érigeant le nouvel archiprêtré de Saint-Maurice-de-Monplaisir à Lyon », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 15 octobre 1943, 7 octobre 1943.

116.

« Ordonnance érigeant la paroisse de Notre-Dame-de-Lourdes dans l'archiprêtré de Saint-Pierre-de-Vaise », Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 11 janvier 1948.

117.

« Ordonnance modifiant les limites de la paroisse de Vaise et de l’Annonciation », Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 29 décembre 1948.

118.

« Ordonnance de Son Éminence érigeant la paroisse Sainte-Marie-de-la-Guillotière dans l'archiprêtré Notre-Dame-Saint-Louis à Lyon », Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 24 mai 1952.