L’historiographie lyonnaise contemporaine fait traditionnellement débuter les premières tentatives en matière de logement populaire avec l’abbé Camille Rambaud (1822-1902). Ce soyeux et fils de soyeux est une figure du logement social à Lyon. Ses premières initiatives datent du début du Second Empire. La Cité de l’Enfant-Jésus, qu’il bâtit dans le quartier ouvrier de la Guillotière en 1854, accueille des enfants pauvres et les prépare à la communion. À la suite de l’inondation de 1856, le père Rambaud recueille les familles pauvres dont le logement a été anéanti. Huit ans plus tard, la cité est abandonnée, avant d’être remplacée par un asile pour vieillards en 1865 qui présente deux originalités : ce logement est gratuit et la pratique religieuse n’est pas obligatoire pour les quelque 300 résidents. Cette « Cité Rambaud », qui s’étend sur 13 000 m2 entre les rues Duguesclin, Bonnel, Boileau et Rabelais, est reconnue d’utilité publique par décret du 25 juin 1923. Dans les années 1890, Camille Rambaud crée deux autres cités à Lyon : la Cité de l’Industrie à Vaise et la Cité Lafayette aux Brotteaux144. De nombreux industriels lyonnais soutiennent financièrement cette initiative : le protestant Arthur Brölemann, le fabricant de soieries Cyrille Cottin, congréganiste, le saint-simonien Arlès-Dufour. Pour Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, le terrain du logement ouvrier et plus largement de la charité est le lieu d’une « fusion des élites », entre philanthropie laïque et devoir patronal de charité chrétienne145.
Parmi les soutiens dont bénéficie l’abbé Rambaud, le courant du catholicisme libéral est le plus actif. Autour de la « bande à Aynard » - en référence à la figure charismatique du groupe , le banquier Édouard Aynard - gravite en effet tout un milieu d’industriels soucieux d’apporter une aide sociale sur le terrain de la ville146. Ce réseau de sociabilité, qui joue le rôle de porte-parole d’une partie des notables locaux, compte de nombreux grands industriels. Parmi eux, un certain nombre ont été présidents de la Chambre de commerce de Lyon entre 1890 et 1914. Souvent membres de la Fédération républicaine, ils incarnent une droite modérée. C’est le cas du soyeux Auguste Isaac147, député en 1919, ou de Jean Coignet, à la tête d’une puissante entreprise de produits chimiques.
Ce groupe ne se reconnaît ni dans l’ultramontanisme de catholiques conservateurs comme celui des familles Cottin ou Payen, ni dans le catholicisme social de Léon XIII qu’il juge trop clérical. Partisans d’une action sociale envers les urbains laissés pour compte, certains de ces patrons lyonnais s’engagent en particulier sur le problème du logement ouvrier, à condition de conserver une indépendance à l’égard de l’Église et de l’État. L’industriel Félix Mangini illustre cette vocation philanthropique du catholicisme libéral lyonnais. Membre de la Société civile de la Cité de l’Enfant-Jésus, auteur d’une enquête sur l’état des logements ouvriers à Lyon, il fonde en 1888 la Société anonyme de Logements économiques dont le but est deconstruire des habitations salubres à loyers modérés pour les familles modestes. Sa formule est originale et son succès rapide. Au début du XXème siècle, la Société a construit 130 maisons, soit 1 500 nouveaux logements148.
La figure de Laurent Bonnevay (1870-1957), redécouverte récemment149, s’inscrit également dans le creuset lyonnais du catholicisme libéral de la « bande à Aynard ». En symbiose avec ce patronat libéral emprunt de modérantisme, de défense des libertés économiques et sensible à la question sociale, cet avocat originaire de Saint-Didier-au-Mont-d’Or au nord de Lyon a marqué l’histoire du logement social. Rapporteur de la loi du 23 décembre 1912 sur les Habitations à Bon Marché (HBM), fondateur en 1919 de l’Office départemental HBM du Rhône, ce républicain convaincu a été de longues années député et sénateur du Rhône. Comme président du Conseil général du Rhône (1934-1940 et 1951-1957), il est notamment à l’initiative d’une Cité de l’Enfance à Parilly. Plus largement, il favorise le financement de logements sociaux en partenariat avec la Chambre de commerce de Lyon et le patronat local. Dans le domaine urbanistique proprement dit, il est en particulier le principal animateur du projet de construction du « boulevard de ceinture » qui porte aujourd’hui son nom150.
Parmi les autres acteurs en matière de logement dans l’agglomération avant 1945, des travaux récents ont permis de connaître l’action des sociétés de Saint-Vincent de Paul, qui tentent d’aider les familles à trouver un logement dans l’agglomération, notamment par le biais du Secrétariat des Familles installé dans le quartier de la Guillotière151. On connaît mal les liens qui ont pu s’établir entre ces diverses initiatives, et notamment avec le Centre d’orientation et d’aide sociale (COAS) qui semble coordonner à Lyon les mesures prises en faveur des victimes de la crise des années 1930.
Roger Voog, « Rambaud Camille », dans Xavier de Montclos (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, Lyon, le Lyonnais, le Beaujolais, Paris, Beauchesne, 1994, p. 356-358; Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 407-408.
Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 408-409.
Ibidem.
Sur Auguste Isaac, voir : Auguste Isaac, Journal d’un notable lyonnais : 1906-1933, textes choisis et annotés par Hervé Joly, Lyon, éditions BGA-Permezel, 2002 ; Hervé Joly (dir.), Patronat, bourgeoisie, catholicisme et libéralisme : autour du journal d'Auguste Isaac : actes de la journée d'étude du 18 juin 2003 organisée par le Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes, Lyon, 2004.
Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 408-409.
Un colloque lui a été consacré à l’initiative de Bruno Benoît et de Gilles Vergnon les 15-16 novembre 2007 à la Préfecture du Rhône sous le titre « Laurent Bonnevay et le département du Rhône » (actes non encore publiés).
Marc du Pouget, « Laurent Bonnevay, un notable libéral et social », dans Jean-Dominique Durand, Bernard Comte, Bernard Delpal, Régis Ladous et Claude Prudhomme (dir.), Cent ans de catholicisme social…, op. cit., p.159-169.
Bruno Dumons et Catherine Pellissier, « Laïcat bourgeois et apostolat social… », op. cit..