3. Le Comité lyonnais pour l’amélioration du logement (CLAL) et le Mouvement lyonnais d’aide au logement (MLAL) : la spécialisation dans un logement social de qualité

a) La permanence des élites lyonnaises

En janvier ou février 1950 naît un second organisme, le Comité lyonnais pour l’amélioration du logement (CLAL). Cette association régie par la loi de 1901 siège d’abord au 34 boulevard des Belges, puis au 37 rue de la République, chez son principal fondateur Jean Pila (1911-1984). Cet architecte qui fut après-guerre président du PACT est issu d’une grande famille de soyeux lyonnais166. L’association n’est pas confessionnelle, mais le cardinal Gerlier est sollicité en février 1950 pour faire partie du Comité d’honneur qui réunit « les personnalités lyonnaises les plus qualifiées pour favoriser par leur patronage la tâche que [l’association] s’est assignée »167. Dans ce comité, outre Jean Pila, figurent à cette date trois industriels (Antoine Charrial, Henri-Paul Martin, René Truchot), l’avocat Maurice Chavrier, le négociant Paul Defond, l’administrateur d’immeubles Jean Fayolle, l’ingénieur Maurice-Henri Martin et l’Inspecteur départemental de l’Urbanisme et de l’Habitation Louis Piessat168. Dans cette association qui s’efforce de combattre la crise du logement, le poids de la grande bourgeoisie lyonnaise est une nouvelle fois à souligner, bien qu’il s’agisse d’un comité d’honneur. En mai 1952, le comité lance un appel d’offre en vue de la réalisation de trente prototypes de maisons individuelles jumelées à normes réduites et à prix modéré (inférieur à 1 500 000 francs). Cet appel d’offre est entendu puisque cinquante-deux projets concurrents sont proposés. Le 30 janvier 1933, Jean Pila invite le cardinal Gerlier à l’inauguration de l’exposition présentant dans les salons de l’Hôtel de Ville les plans et devis des trente-trois projets retenus169. Le CLAL va fournir les bases lyonnaises d’un Mouvement d’aide au logement sur le modèle parisien lancé au printemps 1952 par le cardinal Feltin et le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme Eugène Claudius-Petit.

Le Mouvement lyonnais d’aide au logement (MLAL) naît en effet au printemps 1953 à la demande du cardinal Gerlier et du vice-président du Conseil national de l’Église Réformée de France, le pasteur Eberhard170. Elle réunit un grand nombre de personnalités lyonnaises du monde économique et de l’aide sociale, parfois associées à des organismes ecclésiaux. Les services diocésains et les mouvements d’Action catholique sont en effet représentés par le Comité diocésain des Unions paroissiales d’hommes, la Ligue féminine d’Action catholique (LFAC) et l’Action catholique des milieux indépendants (ACI). Le patronat chrétien est également partie prenante, avec la présence du Centre français du patronat chrétien (CFPC)171, l’Union sociale des ingénieurs catholiques (USIC), le Mouvement des ingénieurs et chefs d’industrie d’Action Catholique (MICIAC) et le Centre des jeunes patrons (CJP). D’autres associations chrétiennes investies sur le terrain social en ville complètent cette nébuleuse de mouvements : l’Association familiale protestante, le Secours catholique, la Société Saint-Vincent-de-Paul, le Secrétariat social catholique et l’Union féminine civique et sociale (UFCS)172. Dans le comité d’action se retrouvent une partie des membres du Comité d’honneur du CLAL cités plus haut : l’administrateur d’immeubles Jean Fayolle, vice-président du CLAL et membre du Bureau du MLAL ; l’industriel Henri-Paul Martin qui devient vice-président du MLAL, et l’ingénieur Henri-Maurice Martin. Des représentants de la banque accordent également leur soutien à cette initiative chrétienne : Jean Labasse, fondé de pouvoir chez Schlumberger & Co et trésorier de l’association ; Xavier d’Hauthuille, directeur du Crédit lyonnais et ami de Jean Labasse173 ; Genin son homologue du Crédit foncier, élu membre du Bureau du MLAL. Viennent s’ajouter à ces soutiens le professeur de droit Antoine Petit et l’architecte Jean-Marc Grange. Le notaire chargé de recevoir les versements des souscripteurs, Louis Chaîne, est aussi notaire de l’Archevêché174.

La continuité de ces soutiens des élites lyonnaises depuis le XIXème siècle au moins ne laisse pas d’interroger. Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier ont tenté d’apporter des explications à cette investissement massif des grands bourgeois lyonnais sur la question du logement populaire. L’influence de la pensée de Frédéric Le Play a pu jouer, en particulier pour le cas ancien de la Cité Rambaud : un des admirateurs de Le Play, Claude Charmetant, est ainsi un des bailleurs de fonds les plus réguliers de l’abbé Rambaud. Les deux historiennes insistent par ailleurs sur l’importance du devoir d’assistance comme « puissant instrument d’intégration urbaine pour les horsains ». Être présent dans les fêtes de bienfaisance et donner de son temps et de sa fortune pour les œuvres de charité, c’est s’agréger au mode de vie patronal lyonnais et participer aux réseaux de sociabilité du « Tout Lyon »175. Dans Calixte ou l’introduction à la vie lyonnaise, véritable répertoire du savoir-vivre entre Saône et Rhône, le héros conseille à son ami parisien désireux de s’enraciner à Lyon : « Intéressez-vous à nos œuvres charitables, ce sera une excellente façon de vous faire connaître avantageusement »176.

Notes
166.

Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 109-110.

167.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, lettre de Jean Pila au cardinal Gerlier, 13 février 1950.

168.

L’architecte Louis Piessat (1904-1998) est l’une des dernières grandes figures de la postérité de Tony Garnier. Élève des Beaux-Arts de Lyon, il est admis à l’École des Beaux-Arts de Paris dont il sort diplômé en 1933. Il est novice à l’abbaye de Solesmes mais doit renoncer à une vocation religieuse à la suite de problèmes de santé. De 1945 à 1968, il est professeur à l’Ecole régionale d’architecture de Lyon. Il est nommé directeur MRU pour les départements du Rhône, de l’Ardèche et de la Drôme entre 1945 et 1950 (notice biographique dans Philippe Dufieux, Sculpteurs et architectes à Lyon…, op.cit.,fin de volume).

169.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, lettres de Jean Pila au cardinal Gerlier, 30 janvier 1953.

170.

La Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 10 décembre 1954 donne la date du 21 avril 1953 pour la création du MLAL, mais l’association a été déclarée à la Préfecture du Rhône le 31 mars 1953.

171.

Figurent également comme membres du CFPC : les industriels Paul Gonnet et Joseph Lepercq, les ingénieurs René J. Rossignol, Henri Sibille et Humbert Isaac.

172.

Sur le rôle de l’UFCS dans la ville, voir également le chapitre 11.

173.

Voir Jean Labasse, Les capitaux et la région. Étude géographique. Essai sur le commerce et la circulation des capitaux dans la région lyonnaise, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 69, Paris, Armand Colin, 1955, p. 5-6. Voir également le chapitre 3 de la présente thèse.

174.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, modèle de lettre au président du MLAL (sans date) et « liste des membres et soutiens du MLAL » (sans date).

175.

Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 408-409.

176.

Jean Dufourt, Calixte ou l’introduction à la vie lyonnaise, 1926 pour la 1ère édition, 2002 pour la réédition la plus récente. Cité par Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 409. D’autres explications possibles avancées à titre d’hypothèses par les deux auteurs, « le phénomène de la grande ville et l’esprit d’initiative locale » (p. 408), mériteraient d’être définies de façon moins large et demanderaient à être validées par des sources précises.