4. Le rôle du Comité diocésain du logement au début des années 1950

Au sein de l’Archevêché, un Comité diocésain du logement soutient en effet activement les initiatives du MLAL. Il est mis en place rue Vauban sous la direction de Mgr Maurice Lacroix, vicaire général en charge de l'Action catholique, de l'Action sociale et des Œuvres pour l'ensemble du diocèse depuis 1945192. Humbert Isaac (1878-1975) en est le coordinateur. Cet ingénieur déjà cité, co-directeur des établissements Dognin (fabrication de tulle et dentelles) à Villeurbanne, membre du CFPC, est aussi secrétaire du MLAL. Avant la guerre, Humbert Isaac avait proposé au maire socialiste de la ville Lazare Goujon diverses formules d’habitat social : la construction d’Habitations Bon Marché, le crédit immobilier et l’auto-construction193. Au Comité diocésain du logement, il est secondé à partir de la fin de l’année 1954 par Guinchant, qui apporte son expérience de terrain en tant que membre actif du Secours catholique et « castor » à Sainte-Foy-lès-Lyon194. Ce Comité coordonne et centralise les collectes effectuées auprès des fidèles. Certaines paroisses fortunées du centre-ville (Saint-Martin-d’Ainay, Saint-François-de-Sales, Saint-Jean-Baptiste) sont désignées « paroisses pilotes » pour financer les efforts du MLAL195.

Plus largement, le Comité diocésain du logement se donne pour objectif la mise sur pied d’une aide d’urgence en mobilisant tous les acteurs impliqués à l’échelle locale dans la question du logement social : « L'activité de ce Comité consistera surtout, en liaison avec le Secours catholique, le Comité d'aide aux sans-logis (rue Dumoulin) et le PACT, à repérer, visiter, aider les familles du quartier qui ont besoin d'un dépannage immédiat et à voir si, sur place, en mettant en œuvre toute la communauté paroissiale (M. le curé en tête bien entendu),on ne pourrait pas trouver la solution d'attente qui s'impose de façon urgente »196. Pour la réussite de cette entreprise sont désignés des « délégués paroissiaux du logement », pour créer un élan au sein de leurs paroisses et réunir « les bonnes volontés qu'intéresse la question du logement, et notamment, les représentants du Secours catholique, du service d'Entraide de la Ligue, des Confrères de Saint-Vincent-de-Paul ». Ces délégués distribuent auprès des paroissiens les tracts du Comité diocésain et du MLAL, et assurent le travail de secrétariat : remise de cartes de remerciements aux donateurs, envoi des bordereaux de transmission de fonds du Comité paroissial vers le MLAL. Des listes de donateurs ou souscripteurs potentiels doivent également être dressées et envoyées rue Vauban197.

Le clergé diocésain se fait le relais de cette mobilisation. La question du logement est à l’ordre du jour de la réunion de travail des archiprêtres en octobre 1953, de même qu’à celui de plusieurs réunions de curés. Au total, en mai 1953, près d’une quarantaine de paroisses du diocèse ont créé un Comité paroissial du logement avec au moins un délégué, auxquelles s’ajoutent, hors diocèse mais dans l’agglomération, deux délégués « pour Villeurbanne et Vénissieux »198.

L’argumentaire de la mobilisation se structure autour de quelques idées maîtresses, qui s’inscrivent dans la tradition des discours réformateurs sur le logement. Le taudis est d’abord vu comme le lieu du drame familial. Le discours hygiéniste et philanthropique développé depuis le XIXème siècle est ici massivement utilisé : la fragilité physique et psychologique des populations est imputée à l’entassement et à la promiscuité, l’environnement matériel influant de façon mécanique sur le comportement des individus199. L’exiguïté du logement a des conséquences directes sur la vie matérielle et morale du foyer : « Des familles de 6-8 personnes s’entassent dans une pièce, parfois un vrai taudis, avec toutes les conséquences que l’on devine pour l’hygiène, la santé, la morale. Trop de jeunes ménages doivent demeurer chez leurs parents avec la redoutable épreuve de la bonne entente, dans la famille et entre époux. Trop de foyers ne peuvent se créer ou se peupler »200. La question du logement peut donc avoir un impact sur l’évolution démographique du pays. L’insalubrité du logement est un révélateur des maux qui frappent les familles pauvres, elle est au fondement même de la misère sociale : « Tout le monde connaît maintenant l’étendue de la crise du logement : […] la désunion dans les familles, l’enfance en danger, la tuberculose, l’alcoolisme »201.

À l’inverse, habiter un logement décent entraîne quasi nécessairement l’épanouissement familial, garanti par la présence de la mère au foyer : « Les conditions normales de l’habitat font les excellentes ménagères et ordre, propreté et joie de vivre naissant spontanément dans un cadre heureux »202. Le taudis est mis en question moins au nom du droit que pour ses effets néfastes pour la santé physique et surtout morale de ses habitants203.

C’est ce discours que reprend le cardinal Gerlier lors de ses appels à la charité des fidèles pour résoudre la crise du logement. L’archevêque s’est en effet montré particulièrement actif pour appuyer les efforts des autorités civiles en ce domaine.

Notes
192.

Ordo du diocèse de Lyon, année 1954. La date de création du Comité diocésain du logement n’a pu être déterminée.

193.

Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier, Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 407.

194.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 10 décembre 1954.

195.

Un paroissien de Saint-François-de-Sales fait ainsi un don de 220 000 francs à la fin de la réunion d’information organisée par le Comité diocésain le 4 mai 1953 (AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, lettre d’Humbert Isaac au cardinal Gerlier, 2 décembre 1953).

196.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, lettre d’Humbert Isaac au cardinal Gerlier, 5 mai 1953.

197.

Idem.

198.

« Où en est l’aide au logement ? », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 17 juin 1953 ; AAL, fonds Gerlier, 11.II.40, « Ordre du jour de l’assemblée des archiprêtres », 5 octobre 1953 (le mot « logement » est souligné deux fois à la main sur le document dépouillé) ; 11.II.126, lettre-type adressée à « Monsieur le Curé » signée de Mgrs Lacroix et Dupuy, janvier 1954.

199.

Jean-Luc Pinol et François Walter, « La ville contemporaine jusqu’à la Seconde Guerre mondiale », dans Jean-Luc Pinol (dir.), Histoire de l’Europe urbaine, t. 2 : de l’Ancien Régime à nos jours, Paris, Seuil, 2003, p. 9-275, en particulier p. 80.

200.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, projet de tract d’aide au logement intitulé « J’étais sans toit, m’avez-vous abrité ? » signé du cardinal Gerlier, sans date.

201.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, brochure du MLAL intitulée « Tout le monde connaît maintenant l’étendue de la crise du logement », sans date.

202.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, note « La visite des nouveaux immeubles… », sans date.

203.

Bruno Duriez et Michel Chauvière, « Les squattages entre loi morale et droit positif », dans La Bataille des squatters et l’invention du droit au logement 1945-1955…, op. cit. , p. 259-288.