C. Droit de propriété et détresse des sans-abris : des débats autour de la propriété

Dans la plupart des cas évoqués plus haut, l’archevêque doit réagir rapidement à des événements qui, si rien n’est fait, peuvent être enflés par la rumeur publique. Certes, la Direction des Œuvres diocésaines s’attache à un travail de plus long terme de suivi des dossiers. Elle s’informe en particulier des expulsions et des « cas tragiques de familles à reloger ». Pendant l’hiver 1952-1953, une liste de trente familles habitant en majorité la Croix-Rousse et Villeurbanne, mais aussi la presqu’île, les Brotteaux à Lyon, Saint-Fons, Caluire, Saint-Didier-au-Mont-d’Or ou Marcy-l’Étoile, a ainsi été communiquée à l’Archevêché par l’Association familiale ouvrière Jacquard-Lyon-Croix-Rousse. Y sont donnés, pour chaque famille indigente : l’adresse, le nombre de pièces de l’habitation, le nombre d’enfants à charge et les difficultés particulières qui aggravent la situation (maladies, manque d’aération du logement, promiscuité). De même, Mgr Lacroix suit l’évolution de la procédure concernant les menaces d’expulsion de onze familles de la rue Dunoir (3ème arrondissement de Lyon), dossier également suivi parle Parti communiste237.

Il reste que les multiples appels lancés entre 1947 et 1951 font du cardinal un ultime recours face aux expulsions qui menacent les familles de façon imminente. En janvier 1950, un ouvrier retraité, Claude Serrière, qui habite chemin de Saint-Just-à-Vaise dans le 5ème arrondissement de Lyon, demande l’appui de l’archevêque pour éviter l’expulsion de son fils, marié et père d’une fillette de sept mois. Ce père de famille, ancien combattant de 1914-1918, déplore que « les fils d’ouvriers ne peuvent se défendre contre les puissants de la terre[sic] ». Le propriétaire, qui habite rue Sala, souhaite « reprendre son bien qui se compose d’une multitude de pièces dont [le] fils en a trois pièces qui ne servent à rien sinon à passer quelques jour par an (cela et son droit), mais Monseigneur ne croyez-vous pas que cela n’est guère français et encore moins chrétien ? ». Les termes du débat sont ici bien résumés : le droit de propriété est reconnu par l’Église, mais la charité chrétienne ne demande-t-elle pas une application souple de ce droit dans les cas de détresse ? Car le problème essentiel dans le cas de la propriété privée pour l'Église est la conciliation de ce droit avec les exigences souveraines de la destination universelle des biens. Sous la pression de cette actualité de crise du logement, le diocèse est, comme ailleurs sans doute238, le théâtre de débats sur la notion de propriété.

Notes
237.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, « Cas tragiques de familles à reloger », association familiale ouvrière Jacquard-Lyon-Croix-Rousse, hiver 1953-1954 ; « Expulsion des locataires rue Dunoir », Direction de Œuvres diocésaines, sans date (mais dans le même carton que le document précédent).

238.

Bien que les prises de position publiques des aumôniers et des théologiens catholiques n’aient pas été visiblement très nombreuses. Voir Bruno Duriez et Michel Chauvière, « Les squattages entre loi morale et droit positif »…, op. cit., p. 266 note 16.