2. La position du Comité théologique de Lyon

Une tentative de synthèse sur la question de la propriété est proposée à l’automne 1951 par le Comité théologique de Lyon dans un article paru dans un bulletin d’Économie et Humanisme242. Ce Comité créé et présidé depuis le printemps 1944 par le cardinal Gerlier, est chargé d’établir des notes doctrinales à l’usage du clergé. Y siègent le recteur et le vice-recteur des Facultés catholiques, les supérieurs des Séminaires, et le supérieur des Prêtres du Prado (Mgr Alfred Ancel). Sont également nommés comme « consulteurs » les doyens des Facultés catholiques, des représentants des ordres jésuite et dominicain ainsi que quelques personnalités, comme le directeur de la Chronique sociale Joseph Folliet243.

Il faut concéder que ce texte n’est pas directement lié au problème du logement. Il vise à s’interroger, dans un contexte de mise en place d’une économie mixte et de poussée du communisme dans le monde, sur l’affaiblissement apparent du droit de propriété. Les auteurs commencent par rappeler l’existence de formes multiples de la propriété dans l’Histoire, due à l’évolution des techniques et des structures économiques. Ce caractère relatif du concept de propriété dans le temps et l’espace n’a pas empêché les Pères de l’Église de dégager des principes invariants. Est alors commentée la position que développe la Somme théologique de Saint Thomas : le détenteur du droit de propriété n’est pas un « propriétaire » mais un « intendant » ou un « économe de Dieu », chargé de gérer pour le bien de l’humanité toute entière le patrimoine qui lui a été confié244. La propriété n’est donc pas une fin en soi, mais se trouve légitimée si elle est mise au service d’une double considération : celle de la personne et celle du bien commun.

La fin de l’article est plus inattendue : elle émet l’idée que le droit (au singulier) de propriété tend progressivement à perdre son exclusivité pour entrer en concurrence avec d’autres droits (au pluriel), comme les droits des usagers ou les droits de l’État. Cette conception plus souple et plus complexe s’explique par l’historicité des sociétés, qui oblige à remettre en question les acquis des moralistes de la tradition chrétienne. Cette vision est peu banale car elle suppose délibérément et explicitement l’existence d’ « un moment de critique, de recherches et d’expériences » avant la stabilisation d’un « nouvel équilibre social ». Suspendre son jugement ne signifie pas pour autant négliger les garde-fous. Le Comité théologique insiste en conclusion sur une tradition libérale du droit de propriété qu’elle juge condamnable : contrairement à une opinion parfois partagée par certains milieux catholiques, la propriété n’est pas un « mythe », au même titre que la famille ou la patrie. Mais la question de la propriété bouscule les certitudes des théologiens lyonnais, et la position du Comité théologique est en dernière analyse assez critique à l’égard du droit de propriété.

Notes
242.

Comité théologique de Lyon, « Note sur la propriété », Le Diagnostic économique et social, 27-28, septembre-octobre 1951, p. 267-275.

243.

Voir notamment Bernard Comte, « Le père de Lubac, un théologien dans l’Église de Lyon », dans Henri de Lubac. La rencontre au cœur de l’Église, Études réunies par Jean-Dominique Durand, Paris, Cerf, 2006, p. 35-89 (p. 71 pour ce Comité).

244.

Somme théologique, IIa-IIae, qu. 66 a 2.