Six groupes de « castors » ont pu être identifiés dans le cadre de ce travail. Quatre d’entre eux concernent la commune de Sainte-Foy-lès-Lyon dans l’ouest de l’agglomération lyonnaise. Contrairement à d’autres agglomérations, le nombre de logements « castors » semble faible : il serait inférieur à 200 pour la ville de Lyon comme pour le département du Rhône tout entier. Plus largement, la région Sud-Est ne concentrerait que 8,4 % des logements « castors » en chantier au 15 novembre 1952, contre 34,3 % pour l’Ouest de la France255. Il reste qu’aucun travail universitaire n’a à notre connaissance pris les « castors » lyonnais comme objet de recherche.
La première expérience de « castorisation » dans l’agglomération lyonnaise est née de l’enthousiasme d’un jeune instituteur, Laurent Lathuilière, pour des solutions d’auto-construction découvertes à l’occasion d’un voyage dans la région d’Angers, un des berceaux du mouvement. Là, il visite les maisons « castors » du Pont-de-Cé. À son retour en 1949, il fonde l’Association des Castors du Rhône. Les autres membres fondateurs sont des représentants du scoutisme français, des militants syndicalistes, un conseiller municipal256, ainsi que deux spécialistes des questions de logement déjà évoqués pour leur proximité avec l’Archevêché, Humbert Isaac et Jean Pila. Dans leur commune de Sainte-Foy-lès-Lyon, Lathuilière et trois amis également pères de famille obtiennent l’aide du PACT pour l’achat d’une parcelle. Entre août 1949 et janvier 1950, ils montent quatre chalets préfabriqués d’origine autrichienne cédés au titre des dommages de guerre. Sur un terrain contigu, un autre groupe de vingt-quatre familles de Sainte-Foy, rapidement désignés sous le nom de « Castors de l’Archevêché », inaugurent leurs maisons auto-construites à la fin du mois de juin 1951.
En décembre 1950 est né dans la même commune un troisième groupe affilié à la coopérative HLM « Clair Logis » agréée par l’État. Autour de vingt jeunes pères de famille volontaires emmenés par François Tourlonias, préparateur en pharmacie, et Lucien Colard, cheminot, se crée l’association « Notre Foyer » qui se donne pour but de mettre en place « la première expérience de "castorisation intégrale", première dans la région et sans doute en France »257. Il s’agit pour ces jeunes hommes de bâtir de leurs propres mains leur habitation tout entière afin d’en réduire le prix de revient à l’extrême. Seuls l’acquisition d’un terrain, l’achat des premiers matériaux et la location du matériel strictement nécessaire ont été financés, en particulier par les prêts « Clair Logis »258. La présence dans l’équipe d’un maçon (« chef de chantier dans une grande entreprise lyonnaise »), de plâtriers, d’électriciens et d’un menuisier permet de mutualiser les compétences professionnelles et de faire progresser rapidement les chantiers. Enfin, on garde la trace d’un quatrième groupe d’auto-constructeurs Sainte-Foy-lès-Lyon autour de l’été 1951. Il s’agit d’un groupe de dix-sept jeunes foyers autour de Jean Boissier et Pierre Lavigne. Ces « castors » acquièrent un terrain de 16 000 m2 rue Joseph-Ricard. Après avoir fabriqué elle-même les 34 000 moellons nécessaires à la construction des maisons, l’équipe assure les travaux de viabilité de la route d’accès à ces logements259.
Les deux autres associations de « castors » identifiées sont établies sur des communes voisines. À La Mulatière, au sud de l’agglomération, un groupe de vingt-quatre cheminots des ateliers de la SNCF se constitue en Société civile immobilière des Fontanières (nom du chemin qui conduit à la parcelle) en décembre 1953. Ces « Castors du rail », aidés notamment par leur employeur et le Conseil général du Rhône, achètent et lotissent le terrain sur lequel ils s’installent à partir de 1956. À Tassin, un « groupe de travailleurs lyonnais » œuvre pour « une vie plus humaine et mieux équilibrée » en se lançant également dans la « castorisation » au début des années 1950260.
Ces entreprises d’auto-construction ont bénéficié très tôt du soutien de la Chronique sociale. Leur succès s’explique surtout par la bienveillance que leur ont accordée les autorités civiles, mais également religieuses.
Images, discours et enjeux de la reconstruction des villes françaises après 1945, Cahiers de l’IHTP, 5, juin 1987, tableau 6, p. 159.
Il s’agit de Jean Cottier, François Dorbec, Eugène Lapeyre, André Plaisantin et Antonin Viannay.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, « La Plaine, dans la banlieue lyonnaise : vingt familles ouvrières tentent la première expérience de "castorisation intégrale" », rapport de Paul Goujon joint à la lettre d’Élie Devaux au chef de file EDF, 28 février 1952.
L’idée utopique d’une communauté de familles assurant son autonomie par son propre savoir-faire et sa propre gestion financière correspond assez bien avec la description qu’en fait Danièle Voldman concernant d’autres villes françaises pour la période 1945-1953, première phase du mouvement « castor ». Il n’est dès lors pas certain que ce cas lyonnais soit pionnier en matière de « castorisation intégrale ».
Rue Alexis-Carrel inaugurée le 19 juin 1954 à Sainte-Foy-lès-Lyon.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, lettre d’Antoine Chol au cardinal Gerlier, sans date. Cependant, plusieurs indices dont une allusion à la création de la coopérative HLM « Clair Logis » permettent de dater ce document des années 1951-1954.
Carte réalisée à partir d’un fond de carte Mapinfo.