L’Archevêché de Lyon appuie les premières expérimentations de « castorisation » dans le diocèse. La première démarche auprès du cardinal Gerlier concerne en 1949 un parc situé à Sainte-Foy-lès-Lyon en périphérie ouest de Lyon, dont Laurent Lathuilière et son groupe souhaiteraient acquérir une partie pour réaliser la « première cité "Castor" »265. Cette vaste parcelle de 25 000 m2 est parfois utilisée pour les rassemblements des mouvements de jeunesse. Elle a en effet été cédée par donation à l’Archevêché à la condition d’en réserver l’usage à une œuvre catholique.
Parmi les membres les plus actifs des « castors » de Sainte-Foy, un certain nombre souhaitent dès lors afficher leur appartenance confessionnelle en créant une association à caractère religieux, placée sous le patronage de Notre-Dame-du-Foyer, qui rassemblerait les croyants qui le souhaitent. Ce serait par conséquent l’obligation de se déclarer juridiquement « œuvre catholique » pour bénéficier de la clause testamentaire qui aurait conduit des membres du groupe à rendre publique leur foi, alors que prévalait jusqu’à l’affaire de ce parc une certaine discrétion, à cause du « souci de [se] mettre au service de tous et de ne pas éveiller le soupçon de cléricalisme sur une entreprise dont l’intérêt largement humain paraît d’emblée ». De fait, cette « clause providentielle » est interprétée par Laurent Lathuilière et son entourage comme une libération : « En effet, un certain nombre d’entre nous ont pleinement conscience de devoir le courage qui les soutient dans la poursuite de leurs initiatives de bâtisseurs, à une intention surnaturelle et chrétienne. Nous étions plusieurs à regretter que ce moteur commun soit, sinon méconnu entre nous, du moins trop discrètement réservé à la vie spirituelle personnelle, dans la pratique. Nisi Dominus… »266. Sont en outre envisagés des projets d’aménagement d’un petit sanctuaire dédié à la Vierge ou de pose d’une statue - cette dernière solution sera finalement retenue et financée par la souscription lancée par la Chronique sociale.
Si le mouvement « castor » de Sainte-Foy, ouvert « à toutes les bonnes volontés », n’a donc pas un caractère confessionnel, l’engagement chrétien qui anime les responsables du projet les conduit à demander la création, à l’intérieur du groupe, d’une association à caractère religieux. Cependant, il faut souligner que cette seconde association - emboîtée en quelque sorte dans la première - ne paraît pas rassembler les bâtisseurs eux-mêmes, contrairement à ce qui a pu se faire ailleurs. Ici, ces responsables de mouvements militants souhaitent créer une association qui groupe les personnes « touchées de la détresse des sans-logis et des mal-lotis », non les victimes de la crise du logement elles-mêmes. Ce sont les prêts de capitaux, les donations de terrains ou encore la disponibilité offerte à ces chantiers d’auto-construction qui constituent les buts principaux assignés à cette association267.
Le cas de Laurent Lathuilière est exemplaire d’une partie de ces « castors » lyonnais. Issu de la petite bourgeoisie catholique, instituteur dans les écoles libres dans le diocèse de Grenoble avant-guerre, il est un membre actif de la CFTC à Grenoble et Villeurbanne. Mais ses sympathies pour les mesures sociales du Front populaire - il aide notamment à l’organisation des congés payés auprès de jeunes travailleurs - compliquent ses relations avec l’Évêché. Pendant la guerre, il participe à la Résistance et contribue à la diffusion clandestine des Cahiers de Témoignage chrétien 268.
Une petite délégation composée notamment de Laurent Lathuilière et du père Chartier se rend à l’Archevêché au cours de l’année 1949 pour appuyer la demande. C’est Jean Pila, l’administrateur de la Société immobilière « Lyonnais et Forez » (qui gère une partie des biens de l’Archevêché) qui a sans doute joué un rôle décisif auprès du cardinal269. A cette date, il est également président de l’Association des castors du Rhône, du CLAL et du PACT. Une bande de terrain de 5 000 m2 le long de la rue Jean-Baptiste-Simon est cédée par l’Archevêché. L’achat est financé par un prêt souscrit auprès du PACT. En présence du cardinal Gerlier, Jean Pila rend hommage le 21 janvier 1950, jour de l’inauguration, aux quatre pères de famille pionniers270 qui peuvent désormais loger leurs vingt enfants.
Le second groupe de « castors » évoqué plus haut, les « Castors de l’Archevêché », doit également son nom à la bienveillance de l’autorité religieuse. En effet, le cardinal Gerlier accepte de vendre l’intégralité de la parcelle restante du parc, soit 20 000 m2, à vingt-quatre autres familles de la commune de Sainte-Foy. Inaugurées le 30 juin 1951 en présence en particulier de représentants du PACT, les nouvelles habitations sont investies par leurs propriétaires au début de l’année 1952.
De la même façon, le groupe de « castors » de Tassin réclame lui aussi l’appui du cardinal Gerlier pour réaliser ses projets d’auto-construction. Une demande d’audience est sollicitée auprès de l’archevêque pour s’entretenir avec lui d’un éventuel achat d’une partie de la propriété Montcelard, que la congrégation des Clarisses vient d’acquérir pour y transporter le couvent de la rue Sala. Cette requête est portée par un membre de l’équipe diocésaine d’ACO, Antoine Chol, salarié dans les usines Rhodiaceta271.
Enfin, les « castors » de « Clair-Logis » sollicitent l’autorité morale du cardinal Gerlier - lequel s’est rendu sur place afin de prendre connaissance des chantiers - pour appuyer leurs demandes auprès des autorités civiles et du patronat272.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, lettre (avec entête du Secrétariat social du Sud-Est) de Laurent Lathuilière, Jean Cottier (pour le Scoutisme français) et François Dorbec (Castors de France) au cardinal Gerlier, 14 février 1949.
Idem.
Idem.
Entretien de son fils Pierre Lathuilière avec l’auteur, 13 novembre 2007.
D’après les coupures de presse visibles lors de l’exposition « Résistants et bâtisseurs » évoquée plus haut.
Laurent Lathuilière, Pierre Barnier, Gabriel Falcan et Augustin Trotobas.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.182, lettre d’Antoine Chol au cardinal Gerlier, sans date, vraisemblablement 1951-1954.
Là encore d’après les coupures de presse visibles lors de l’exposition « Résistants et bâtisseurs » évoquée plus haut.