I. Le Bureau Lyonnais d’Analyse et de Conjoncture (BLAC) : un laboratoire d’enquÊtes pour l’agglomÉration

L’association Économie et Humanisme a été fondée à Marseille en 1941, mais c’est dans la périphérie lyonnaise que s’installe l’association à l’automne 1943. Denis Pelletier a montré ce que cette implantation rhodanienne doit aux circonstances. La province dominicaine de Lyon vient en effet d’acquérir une vaste propriété à Éveux, sur la commune de l’Arbresle, à vingt-cinq kilomètres au nord-ouest de Lyon. Le projet d’y installer le studium de Saint-Alban-Leysse (Savoie) séduit le père Lebret, car les contacts et les débats seraient ainsi enrichis par cette double présence291. En outre, le fondateur est en bons termes avec le cardinal Gerlier, à compter au nombre de ceux qui ont approuvé la création du mouvement292. Sans doute la situation géographique trop excentrée de Marseille a-t-elle également joué dans ce transfert pour assurer un rayonnement plus important à l’association293.

Pourtant, faute de locaux, c’est d’abord à Écully, dans la banlieue ouest de Lyon, qu’emménage l’équipe centrale d’Économie et Humanisme en 1943. L’association s’installe dans une villa du quartier « La Vernique », jusqu’à l’été 1945, date à laquelle elle déménage pour Éveux. Lorsque le studium dominicain s’ y installe enfin, l’association se rapproche de Lyon avec l’aménagement de locaux à Caluire (1957)294. Aux portes de Lyon, Économie et Humanisme n’a pas investi la ville : le centre fonctionne comme lieu d’accueil des participants aux sessions et comme pied-à-terre pour l’équipe centrale, non comme un ancrage délibéré dans la géographie lyonnaise295. Une équipe lyonnaise enracinée dans un tissu local de militants est-elle possible, voire même envisagée ?

À propos des laboratoires d’enquêtes créés par Économie et Humanisme dans les premières années du mouvement, Denis Pelletier évalue le nombre d’équipes locales à une vingtaine en France pour la période 1945-1950. Il constate la difficulté pour l’historien de connaître précisément la vie de ces réseaux, en raison d’équipes parfois éphémères, rarement structurées, qui ont laissé peu de traces de leur activité296. Le dépouillement du fonds Raymond Delprat au Centre des archives contemporaines (CAC) de Fontainebleau permet cependant de compléter l’article qu’a consacré Denis Pelletier à la place occupée par Économie et Humanisme dans le catholicisme social rhône-alpin. Le BLAC n’a pas connu la même solidité que ses voisins stéphanois, grenoblois ou romanais. La crise que rencontre le groupe dès la fin des années 1940 est révélatrice des difficultés de mise en place de groupes d’action stables dans une ville où les réseaux se sont déjà structurés selon d’autres logiques.

Notes
291.

Denis Pelletier, « Économie et Humanisme dans la région lyonnaise : le catholicisme social en débat », dans Jean-Dominique Durand et alii, Cent ans de catholicisme social…, op. cit., p. 517-536, en particulier p. 517-518.

292.

Outre l’article de Denis Pelletier, on consultera : AAL, fonds Gerlier, 11.II.202, « Note sur l’association Économie et Humanisme rédigée en vue de la réunion de février 1944 de l’ACA sur la demande de Son Éminence le cardinal Gerlier », père Lebret, 5 février 1944.

293.

Entretien de l’auteur avec Hugues Puel, ancien directeur de la revue Économie et Humanisme, 18 octobre 2007.

294.

L-J. Lebret, L’économie au service des hommes, textes choisis et présentés par François Malley (OP), Paris, Cerf, 1968, p. 67-69.

295.

Entretien de l’auteur avec Hugues Puel, ancien directeur de la revue Économie et Humanisme, 18 octobre 2007.

296.

Denis Pelletier, Économie et Humanisme. De l’utopie communautaire au combat pour le Tiers Monde, Paris, Cerf, 1996, p. 95.