2. Portrait de groupe des fondateurs du BLAC

Outre Jean Queneau et la SAGMA déjà cités et principaux pourvoyeurs de fonds de la société civile, le BLAC a été fondé par neuf autres personnes physiques ou morales. Quelques figures se détachent de la documentation.

Yves Strauss, licencié en sciences, est un membre actif du Bureau. Son domicile tient lieu de siège pour le BLAC, au 9 rue Mulet, dans le 1er arrondissement de Lyon. Il participe à hauteur de 15 % au capital de départ, ce qui représente la plus forte somme investie si l’on excepte la SAGMA de Jean Queneau. Il se charge de l’organisation comptable du Bureau, mais il prévoit de s’installer à Paris dès octobre 1947, soit seulement sept mois seulement après la création du BLAC Il a participé à l’enquête MRU sur le logement à Lyon ainsi qu’aux activités d’un autre organisme d’analyse et de statistique lié à EH, le Centre national d’études rurales (CNER), pour lequel il réalise un travail de mécanographie. Avec Raymond Delprat, il est le représentant d’EH lors de la réunion constitutive du BLAC307.

Raymond Delprat est en effet un des principaux collaborateurs du père Lebret dans l’équipe centrale d’EH. Né en 1905 à Paris, ingénieur des pétroles dans la région marseillaise entre 1933 et 1943, il devient salarié de l’équipe centrale en 1943 avant d’entrer au comité de direction d’EH en mars 1945. Il participe notamment à une rencontre sur l’aménagement du territoire au printemps 1950 organisée par le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme Eugène Claudius-Petit en présence de Jean Queneau et du père Lebret qui proposait ses services. En septembre 1955, il est nommé au conseil de direction de l’Institut de recherche et d’action contre la misère mondiale (IRAMM) que fonde l’abbé Pierre dans le prolongement des communautés d’Emmaüs. En 1958, il devient membre du premier conseil d’administration de l’Institut international de recherches et de formation en vue du développement harmonisé (IRFED) créé dans la mouvance d’EH308.

Jean Labasse (1918-2002), déjà évoqué pour son soutien apporté au MLAL, apparaît dans le texte des statuts du BLAC comme fondé de pouvoir de banque (chez Neuflize, Schlumberger & Co). Né à Lyon, il a rencontré le père Lebret dès 1942 par l’intermédiaire de Jean Queneau. Présent dans la liste des équipiers et correspondants d’EH en 1944, il est l’auteur de nombreux articles de géographie dans la revue éponyme de l’association309. Il soutient en décembre 1953 une thèse de géographie économique intitulée « Les capitaux et la région, étude géographique. Essai sur le commerce et la circulation des capitaux dans la région lyonnaise », qui rejoint les préoccupations d’aménagement régional de l’association. Il s’intéresse entre autres aux relations ville-campagne, lit Marx, Engels (l’Anti-Dühring) et Henri Desroches (Signification du marxisme) sur la question310. Très engagé aux côtés de l’association, il participe au Liban et en Amérique latine aux enquêtes du père Lebret dans les années 1950. De 1957 à 1978, il est professeur à l’IEP de Paris tout en poursuivant une carrière dans le milieu bancaire lyonnais311.

La figure de Jean Pila a également été évoquée plus haut. Cet architecte proche du cardinal Gerlier est à l’origine de la création du PACT puis du CLAL dans l’agglomération, et devient président de l’Association des castors du Rhône peu après sa création. Il est également l’organisateur de Journées d’études internationales sur l’habitat les 18-20 octobre 1947 auxquelles il associe le BLAC312. Jean Pila entre au BLAC à la même époque (février 1947) que Joseph Folliet (1903-1972), directeur de la Chronique sociale de France et vice-président des Semaines sociales. La participation de Folliet au BLAC est symbolique : il n’est jamais cité dans les initiatives de la société et il est le plus faible souscripteur de la société civile, avec 1 000 francs, soit environ 0,3 % du capital de départ. Sa présence apparaît plutôt comme une volonté de contrôler les activités du BLAC, concurrent direct de la Chronique sociale sur la place de Lyon.

Parmi les fondateurs figurent encore Albert Basset, résidant cours Charlemagne, « technicien » et adjoint à la Mairie centrale de Lyon313. L’industriel Arsène Bérod, à la tête de la Société centrale des écrus et membre de la Confédération française des professions (CFP), tente d’associer un groupe de soyeux lyonnais aux travaux du BLAC dans son quartier d’Ainay, haut lieu du catholicisme lyonnais. Sa société investit 10 000 francs dans le Bureau lyonnais, soit environ 3 % du capital. En dehors du groupe des fondateurs mais membres actifs du BLAC, il faut citer Antonin Charroux314 qui a porté l’enquête MRU sur le logement à Lyon. C’est à son domicile que se tient la réunion constitutive du BLAC en novembre 1946, au cours de laquelle il représente la SAGMA aux côtés de Jean Queneau. Il est pressenti comme le responsable actif du Bureau lyonnais lors de cette réunion315. Parmi d’autres, citons encore : le Commissaire de la République Joseph Voyant316 ; le Villeurbannais P. Vernay, adepte des idées communautaires et secrétaire de la session d’études pour la région lyonnaise de mars 1952317 ; le métallurgiste villeurbannais Louis Naillod, membre d’EH dès 1944 et secrétaire de la CFTC locale318 ; ou encore un cadre de l’entreprise Visseaux319, Comparat, qui fait partie d’un groupe d’ingénieurs catholiques320. Il est probable enfin que Jean Lacroix, rédacteur à la revue Esprit et professeur de philosophie à Lyon, qui a convié chez lui les pères Lebret et Desroches lors de rencontres intellectuelles, ait suivi au moins de loin les activités du BLAC. Il est cité dans la liste des équipiers et correspondants d’EH de 1944.

Retenons deux caractéristiques de ce portrait de groupe : la volonté de s’appuyer sur le tissu économique local, voire régional, et la place importante occupée par des représentants des couches moyennes et supérieures (ingénieurs, architectes, banquiers) souvent impliqués dans les réseaux d’aide sociale avant d’adhérer à l’association.

Notes
307.

CAC, fonds Raymond Delprat, 87 AS 16, procès-verbal de la réunion constitutive du BLAC, 12 novembre 1946.

308.

Denis Pelletier, Économie et Humanisme…, op. cit., p. 84, 332-333 et 338-340.

309.

Quelques exemples : « Méthodologie et géographie des investissements », Idées et Forces (publication Économie et Humanisme), 3, avril-juin 1949, p. 16-19 ; « Géographie et Humanisme », Le Diagnostic économique et social, 12, février-mars 1950, p. 80-81 ; « La région lyonnaise : relations, contours, vocation », Économie et Humanisme, 82, novembre-décembre 1953, p. 41-47. Économie et Humanisme publie également son premier ouvrage déjà cité, Hommes de droite, hommes de gauche en 1947. Il est l’auteur d’articles parus dans d’autres revues, comme la Revue de géographie de Lyon.

310.

CAC, fonds Delprat, AS 87, pochette « Jean Labasse », lettre de Jean Labasse à Raymond Delprat, 10 mars 1955. A la fin des années 1940, la traduction en français des œuvres des années 1840 de Marx et d’Engels suscite un fort engouement chez les géographes et les sociologues français. Voir Paul Claval, Histoire de la géographie française de 1870 à nos jours, Paris, Nathan-Université, 1998, p. 279.

311.

De précieux éléments de biographie dans Denis Pelletier, Économie et Humanisme…, op. cit., p. 154-155 (Jean Labasse y est cité comme rapporteur de la délégation française et représentant d’EH au Congrès fondateur des Nouvelles Equipes Internationales tenu à Chaudfontaine (Belgique) les 31 mai-2 juin 1947).

312.

CAC, fonds Raymond Delprat, 87 AS 16, compte rendu de la réunion « P. Desroches, J. Queneau, Y. Strauss, R. Delprat, BLAC », 8 juillet 1947.

313.

Le lien hypothétique avec la salle communale « Albert Basset » rue Casimir-Perier près du cours Charlemagne à Lyon n’a pu être élucidé.

314.

Orthographié également « Charroud » dans les documents consultés.

315.

CAC, fonds Raymond Delprat, 87 AS 16, procès-verbal de la réunion constitutive du BLAC, 12 novembre 1946.

316.

Ce sénateur du Rhône a également participé aux côtés du père Lebret, du député du Rhône André Guérin et de Jean Labasse à une tentative de transformation du MRP en un front de chrétiens « progressistes » ou « progressifs » en octobre-décembre 1949 (Denis Pelletier, Économie et Humanisme…, op. cit., p. 169 et 175-176).

317.

Voir infra sur le contenu de cette session.

318.

Ancien résistant, Louis Naillod est le coauteur avec Joseph Folliet et le père Lebret d’un « Manifeste des comités catholiques d’étude et d’action » rédigé les 6-11 septembre 1944 au moment de la Libération de Lyon. Ce texte a été soumis à l’approbation du cardinal Gerlier avant d’être diffusé par la presse (Denis Pelletier, Économie et Humanisme…, op. cit., p. 50).

319.

Les usines Visseaux de Vaise, dirigées par Jacques Visseaux jusqu’en 1952, fabriquent dans l’entre-deux-guerres et après la Seconde Guerre mondiale des lampes de radio et d’éclairage.

320.

CAC, fonds Raymond Delprat, 87 AS 16, procès-verbal de la réunion constitutive du BLAC, 12 novembre 1946.