2. Les espaces plus déterminants que les milieux sociaux

Le second résultat important du recensement concerne la sociologie des pratiquants eux-mêmes. L’équipe du secrétariat général, après maints recoupements, en vient à déterminer un « milieu catholique » idéal-typique : le fidèle lyonnais type est un adulte passé par des écoles catholiques et pétri de culture « secondaire ». Là réside le noyau dur des pratiquants de l’agglomération. « C'est à une véritable élimination des primaires et des techniques que l'on aboutit en fait » écrivent Jean Labbens et Roger Daille580. L’étude des catégories socioprofessionnelles des pratiquants vient confirmer cette hypothèse : c’est parmi les cadres intellectuels et les professeurs de l'université et de l'enseignement secondaire que les taux de pratique religieuse sont les plus élevés (45 %), puis parmi les représentants des professions libérales. À l’autre extrémité de l’échelle sociale, les ouvriers spécialisés qui pratiquent ne représentent qu’1,4 % de leur groupe professionnel. Pour l’équipe de l’Institut de sociologie, c’est le facteur culturel - et notamment la question de l’instruction reçue - qui l’emporte cependant sur ce facteur social581.

Les statistiques laissent également apparaître que la pratique des groupes socioprofessionnels varie considérablement selon les secteurs d'habitat. « Dans certaines zones urbaines, les ouvriers qualifiés pratiquent autant que les cadres supérieurs ou les professions libérales et plus que les cadres moyens en d'autres zones. En certains endroits, lesouvriers spécialisés surpassent les employés et même le groupe des industriels et négociants. S'il est opportun de souligner les corrélations qui existent entre la pratique et l'appartenance à telle catégorie sociale, on ne saurait manquer de relever les influences locales : tout se passe comme si les "milieux" étaient, en définitive, moins profondément marqués que les secteurs »582. Cette analyse est de portée considérable. D’une certaine manière, elle remet en cause certains postulats de la pastorale catholique telle qu’elle s’est construite dans l’entre-deux-guerres sur le modèle de l’Action catholique spécialisée. Si le territoire est plus déterminant que le groupe social, faut-il continuer à évangéliser le semblable par le semblable indépendamment de sa localisation dans l’espace urbain ?

L’équipe de sociologie n’entre pas dans le débat. Elle explique cependant que ces conclusions renvoient directement aux analyses d’écologie urbaine : «  Ce qui distingue les secteurs d'une grande métropole urbaine, c'est moins leur disposition géographique que leur aspect fonctionnel : chacun d'eux joue dans l'ensemble urbain un rôle particulier et ce rôle affecte profondément la manière dont les habitants assurent l'exercice des fonctions nécessaires à la vie, qu'il s'agisse du travail, des relations familiales, des loisirs, de la religion aussi. S'il est une conclusion qui se dégage de notre étude, c'est bien cette diversité de comportements religieux qui affecte, selon le lieu de leur implantation, toutes les catégories sociales. Et cette conclusion invite à diversifier l'action pastorale suivant les secteurs écologiques de la ville »583. Cette référence est très intéressante, à un moment où la diffusion des thèses de l’École de Chicago en France n’est pas chose acquise. Elle témoigne d’une acculturation des thèses des disciples de Park et Burgess dans le cadre de problématiques religieuses assez éloignées de leurs préoccupations584.

Notes
580.

Jean Labbens et Roger Daille, La pratique dominicale…, op. cit. (fascicule III), p. 12.

581.

Idem, p. 15.

582.

Idem, p. 29.

583.

Jean Labbens et Roger Daille, La pratique dominicale…, op. cit. (fascicule III), p. 31-32.

584.

Voir notre communication « La migration comme modèle de compréhension de la ville dans l'expertise catholique (du début des années 1960 à la fin des années 1970) », pour le colloque « Dieu change en ville : religion, espace et immigration », organisé par l’Association française de sociologie religieuse sous la direction de Lucine Endelstein, Sébastien Fath et Séverine Mathieu, Amphithéâtre de l’EHESS (Paris), 2-3 février 2009, à paraître.