Le cas de la chapelle de l’Hôtel-Dieu à proximité de la place Bellecour est un cas particulier de la mobilité inter-paroissiale et révèle un fait inattendu. Les quatre messes du dimanche 21 mars ont attiré au total 796 pratiquants, dont plus de 80 % viennent de sept paroisses voisines603. L’auteur du rapport est prudent quant aux causes d’une fréquentation aussi importante et aussi diversifiée : facilité d’accès ? Horaire des messes particulièrement heureux ? Toujours est-il que le recrutement de la chapelle s’effectue de façon particulièrement importante sur quelques rues situées entre la place Bellecour au sud et la place des Jacobins au nord, ce secteur relevant canoniquement de la paroisse de Saint-François-de-Sales. L’auteur de conclure sur ce phénomène surprenant : « L’examen de la pratique dominicale laisserait donc supposer l’existence d’un no man’s land paroissial au cœur même de la Presqu’île, no man’s land qui tient à la fois de la disposition des églises paroissiales et des horaires de messe. Des vérifications de limites paroissiales pourraient et peut-être devraient être envisagées. Mais dans l’état actuel des choses, toute la partie située entre la place Bellecour et la place des Jacobins resterait privée d’une véritable appartenance paroissiale si l’on n’envisageait pas la création d’une nouvelle paroisse. Mais il n’est pas évident qu’une transformation du statut de la chapelle de l’Hôtel-Dieu résolve le problème »604. Le recensement a donc pu mettre à jour des problèmes inattendus, parfois pressentis de longue date mais qui n’étaient souvent pas traités en raison des polémiques qu’ils suscitaient. En donnant une mesure objective des mobilités des paroissiens, l’enquête religieuse a permis de visualiser nettement ces flux.
La chapelle de l’Hôtel-Dieu, qui se révèle comme un lieu centripète pour une bonne partie de la Presqu’île, fait même l’objet d’un débat autour de la notion de centralité. Si ce lieu de culte est au cœur du 2ème arrondissement, il est aussi au centre de la commune de Lyon et, plus largement, de l’agglomération lyonnaise. Dès lors, se pose la question d’une fonction particulière de cette chapelle, voire des autres lieux de culte à proximité, dans une pastorale qui aurait la ville comme territoire. Ce serait alors redéfinir la notion d’apostolat urbain : « On ne saurait cependant oublier qu’on se trouve ici dans le noyau central d’une grande agglomération et que, dans ce noyau se concentre une foule de pratiquants venus des quatre points cardinaux. N’y aurait-il pas lieu d’envisager des formules canoniques nouvelles qui, tout en assurant la satisfaction des besoins religieux de la population locale, tiendraient compte, plus aisément que les structures paroissiales classiques, du rôle et de la responsabilité des lieux de culte situés dans cette partie de la ville envers l’agglomération toute entière ? »605. Cette citation appelle en particulier deux remarques. « Noyau central », « agglomération », « satisfaction des besoins religieux », « population » : tout un vocabulaire de sociologie urbaine est mobilisé pour expliciter la portée du recensement. D’autre part, la notion de « responsabilité » employée ici est intéressante : elle confère au centre une obligation particulière à l’égard des périphéries de l’espace urbain. Il y aurait une nécessité ou un engagement moral propre à l’Église historique de Lyon envers les marges de la ville606.
Ce problème des confins est au cœur des préoccupations de l’archevêque de Lyon en cette fin d’année 1954. C’est le moment en effet que choisit Mgr Caillot, l’évêque de Grenoble, pour céder l’archiprêtré de Villeurbanne à son confrère lyonnais. Si le rattachement de ces paroisses de l’est de l’agglomération est un effet direct, côté grenoblois, d’études de sociologie religieuse et urbaine, il peut être lu, de l’autre côté du Rhône, comme le prolongement et l’aboutissement de l’enquête de pratique dominicale qui englobait les paroisses villeurbannaises.
Il s’agit des paroisses de : Saint-Jean, Saint-Nizier, Saint-Bonaventure, Saint-Martin-d’Ainay, Immaculée-Conception, Saint-André et Sainte-Croix.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « Remarques sur la pratique dominicale à la chapelle de l’Hôtel-Dieu », anonyme, sans date (vraisemblablement fin 1954).
Idem.
Voir également chapitre 6.