IV. Le rattachement des paroisses de Villeurbanne au diocèse de Lyon : l’enjeu urbain confirmé

Il s’agira de montrer d’abord que ce « démembrement » - selon la terminologie du droit canonique - engage deux évêques, le Primat des Gaules et l’évêque de Grenoble, dans une procédure classique de modification des limites entre deux diocèses. Celle-ci est approuvée sans difficultés particulières par Rome et fait la quasi-unanimité dans le clergé villeurbannais. Mais le caractère tardif de ce rattachement interroge : en 1954, la commune de Villeurbanne est rattachée au département du Rhône depuis près d’un siècle, et des demandes récurrentes de rattachement, toujours refusées par l’évêque de Grenoble, parcourent la documentation tout au long du premier XXème siècle. Un second volet s’efforcera par conséquent de montrer que le contexte d’après-guerre, marqué par un renouveau de l’apostolat ouvrier, peut expliquer ce changement de politique territoriale, en faisant de la banlieue lyonnaise une priorité pastorale607.

Pourtant le contexte religieux n’explique pas tout : l’urbanisation elle-même et sa prise en compte par la hiérarchie catholique méritent une attention particulière. Il n’existe pas de « doctrine de la ville » au sommet, loin s’en faut. Mais les catholiques n’échappent pas aux transformations de la ville, qui viennent interroger les modes d’action pastorale. Dans la logique missionnaire, le renforcement de la foi passe par un travail de la frontière608. Nous faisons par conséquent l’hypothèse que ce rattachement s’inscrit dans l’émergence (concomitante dans les deux diocèses) d’une sociologie empirique à la fois urbaine et religieuse qui se propose de penser l’ « urbain » comme une catégorie à part entière, distincte des notions de « mission ouvrière » ou de « milieu ouvrier ». L’agglomération dans sa globalité, et non pas seulement dans sa composante ouvrière, est au cœur de cette annexion. Parce que c’est la ville qui fait frontière entre les deux diocèses, le rattachement est porteur d’enjeux lourds pour l’Église : quels mots utiliser pour dire l’appartenance, qu’elle soit religieuse ou spatiale ? Que signifie « le bien des âmes » dans la grande ville ?

Notes
607.

Cette partie a fait l’objet d’une première présentation lors du colloque « Ville et religion dans l’Europe moderne et contemporaine » de décembre 2006 évoqué en introduction (à paraître).

608.

Synthèse très éclairante sur ce point dans Denis Pelletier, « 1905-2005. Un siècle d’engagements catholiques », dans Bruno Duriez, Étienne Fouilloux, Denis Pelletier et Nathalie Viet-Depaule (dir.), Les catholiques dans la République…, op. cit., p. 19-50.