B. Un double contexte à prendre en compte

1. Un contexte catholique favorable ?

Sans doute y a-t-il pour Mgr Caillot une justification à la fois conjoncturelle et politique au rattachement : « Je préfère le faire de mon vivant, ce serait impopulaire pour mon successeur »621. Dans son esprit, l’annexion est une décision nécessairement difficile car elle peut être interprétée comme un abandon masquant un aveu d’échec : « Il y a trente-sept ans, à mon arrivée, je fus sollicité mais ne connaissant rien ou presque au diocèse, je ne voulais pasinaugurer mon épiscopat par un acte aussi inconsidéré »622. Mais au-delà de ce courage qui ne peut tenir lieu de justification, il est souhaitable de proposer des pistes de compréhension qui replacent cet événement diocésain dans un contexte plus large.

Certes, le dispositif militant hérité du catholicisme social depuis l’encyclique Rerum Novarum est engagé dans une stratégie missionnaire de reconquête bien avant la Seconde Guerre mondiale. À Villeurbanne, le succès de l’Action catholique spécialisée, le maintien des patronages ou encore l’ « Œuvre du Christ dans la banlieue » sont les outils d’une mobilisation qui a très tôt pris acte de l’existence de populations déracinées dans les quartiers ouvriers623. Le contexte général des années 1940 est lui aussi essentiel : pour beaucoup de prêtres, la « drôle de guerre », la prison en Allemagne ou les années vécues aux côtés des déportés dans les camps de la mort nazis ont été une révélation : celle du fossé creusé entre l’Église et les masses. La naissance de la Mission de France (1941) et de la Mission de Paris (1943), les premières expériences des prêtres ouvriers (PO) avant leur condamnation par Rome le 1er mars 1954 s’inscrivent dans un apostolat ouvrier qui cherche à se renouveler. Plusieurs pôles à Lyon, comme le Prado, participent à cette dynamique de renouveau missionnaire624.

Faut-il établir un lien entre le rattachement de Villeurbanne et l’expérience des PO condamnée par Rome quelques mois auparavant ? Certes, les rapports de l’archiprêtre Veyron évoquent en 1952, 1953 et 1954 le cas difficile du père Gulon dans le quartier du Tonkin dans la paroisse villeurbannaise des Charpennes625. Celui-ci aurait délaissé l’évangélisation pour se donner à la lutte des classes et au Mouvement de la Paix, dont il serait le président à Villeurbanne. Or, s’il n’est pas surprenant que rien ne filtre sur ce sujet dans le texte du protocole lui-même, il est remarquable que ce problème ne soit pas non plus spécifié dans le rapport critique du chanoine Bride. De façon plus significative encore, le problème des PO n’apparaît jamais en tant que tel dans la correspondance entre les deux évêques.

Il semble par conséquent qu’il ne faille pas surévaluer l’impact de la question des prêtres-ouvriers dans la décision du rattachement. Ceci tendrait à montrer que les raisons de ce démembrement ne sont pas à chercher uniquement dans un contexte proprement religieux, mais aussi dans le champ de l’histoire urbaine : la prise en compte d’une urbanisation rapide et les débuts d’une sociologie urbaine et religieuse dans les deux diocèses ont été semble-t-il tout aussi déterminants.

Notes
621.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre manuscrite de Mgr Caillot au cardinal Gerlier, 23 août 1954.

622.

Idem.

623.

Bernard Bligny (dir.), Histoire du diocèse de Grenoble…, op. cit., chap. XI.

624.

Voir en particulier : Jacques Gadille, Histoire des diocèses…, op. cit.; Émile Poulat, Les prêtres ouvriers. Naissance et fin, Paris, Le Cerf, 1999.

625.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapports annuels de l’archiprêtre Veyron.