L’urbanisation des paroisses villeurbannaises est une réalité bien antérieure au début des années 1950. Dès mars 1852, la municipalité de Villeurbanne avait obtenu par décret le rattachement de la commune au département du Rhône. En 1926, la construction de la Cité de la Soie le long du Chemin de la Poudrette marque une densification de l’habitat ouvrier dans la ville et confirme sa vocation industrielle. Le début des années 1930 à Villeurbanne est marqué, sous le mandat du socialiste Lazare Goujon, par le chantier des Gratte-Ciel626. Une carte réalisée par la Société de documentation industrielle en 1932 confirme l’extrême densité des implantations industrielles à Villeurbanne627. Les bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale ont dans l’ensemble épargné les Villeurbannais et les efforts de la Reconstruction sous la houlette du MRU contribuent à densifier encore cette zone de frontière entre les deux diocèses. Ainsi le quartier de la Villette situé à l’est de la commune de Lyon et qui jouxte Villeurbanne connaît un début de transformation et d’aménagementdès la Libération. Ajoutons qu’au total, entre 1906 et 1950, la commune de Villeurbanne a connu des chantiers nombreux de construction d’Habitats Bon Marché (qui deviennent HLM en 1949), en raison d’une crise du logement de plus en plus critique628.
Cette urbanisation galopante est clairement perçue par l’archiprêtre de Villeurbanne qui, à plusieurs reprises, met en garde l’autorité épiscopale contre un retard de l’Église dans l’équipement religieux des quartiers en pleine croissance. Ces rapports soulignent trois enjeux majeurs pour le diocèse de Grenoble. D’abord, la construction de nouveaux « centres religieux » est à prévoir. À Bron par exemple, la situation est alarmante : « Des travaux considérables d’urbanisme vont être réalisés sur cette paroisse en bordure de la RN [route nationale] et du boulevard de Ceinture. C’est une véritable ville nouvelle qui va être édifiée. Cela pose des questions graves et urgentes au point de vue religieux. Je n’entre pas dans lesdétails du problème qui ont fait l’objet de plusieurs rapports du curé de Bron à Votre Excellence. Je signale seulement qu’il y a là une question très importante qui demande à être étudiée sans retard »629. Un rappel l’année suivante précise qu’ « il serait urgent de prévoir l’emplacement de la future cité religieuse et d’en acquérir le terrain »630. Les fronts d’urbanisation se multiplient, et rares sont les cas où l’ Œuvre du Christ dans la Banlieue a acquis avant-guerre un terrain pour ménager l’avenir. Ainsi, le quartier des Onchères à Villeurbanne « s’agrandit à vue d’œil »631, de même que celui de la Ferrandière, où 400 logements sont en construction. La densification du tissu urbain et son étalement inquiètent donc les curés sur le terrain, car les besoins religieux deviennent immenses.
L’autre enjeu signalé par le chanoine Veyron est la présence quantitative et qualitative du personnel sacerdotal dans cette périphérie. À Saint-Fons par exemple, un prêtre supplémentaire serait le bienvenu. À Cusset (Villeurbanne) comme au quartier de la Poudrette à Vaulx-en-Velin, la vie paroissiale est « en sommeil »632. Une sérieuse reprise en main par la nomination de prêtres énergiques devient urgente dans ces paroisses étendues, aux populations souvent très jeunes.
Enfin, le père Veyron précise que plusieurs modifications de limites spatiales entre paroisses seraient nécessaires, car l’urbanisation rend caduques les anciennes frontières. La limite sud de la paroisse de Vaulx n’est par exemple plus valable, car les habitants du quartier de la Poudrette, trop éloignés, se tournent plutôt vers Décines située dans le département de l’Isère, ce qui cause en outre des complications pour l’état civil633.
Ces rapports n’appellent à aucun moment à un rattachement de ce secteur au diocèse de Lyon, mais l’archiprêtre constate une dépendance accrue des activités pastorales à l’égard de la métropole voisine. Quand il décrit les rapports avec le diocèse de Grenoble, le chanoine évoque le principe de réalité : « Les prêtres du canton sont animés du plus pur loyalisme envers leur diocèse et du plus filial attachement à leur évêque. Je dois cependant à la loyauté de ce rapport de souligner les difficultés qui résultent pour ce canton de sa situation géographique. Pour les choses essentielles, il s’efforce de participer à la vie du diocèse. Mais pour beaucoup de choses secondaires, concernant l’information du clergé, les écoles, l’Action catholique, les œuvres, etc…, il est obligé de se joindre aux organisationslyonnaises. Il enrésulte une situation en porte-à-faux, préjudiciable à bien des points de vue. Nous serions beaucoup plus mêlés à l’activité du diocèse si nous étions moins éloignés. Cet absentéisme est le résultat d’une impossibilité et non pas le signe d’une négligence »634.
Ajoutons enfin que celui qui parle est un responsable religieux, non un laïc : son diagnostic est sans doute davantage écouté à l’Archevêché que les arguments du bijoutier Beaumont. Pour autant, peut-on affirmer que la ville en croissance est une préoccupation des évêques de Grenoble et de Lyon ?
1 400 logements, 1931-1934, Môrice Leroux architecte.
Reproduite (sans source indiquée) dans Jean Pelletier et Charles Delfante, Atlas historique du Grand Lyon, Formes urbaines et paysages au fil du temps, Seyssinet-Pariset, Éditions Xavier Lejeune-Librio, 2004, p. 159.
120 logements rue Flachet, 120 également rue de la Prévoyance, 74 rue Édouard-Vaillant, 168 sur le cours Émile-Zola ou encore une soixantaine rue Michel-Servet (Jean Pelletier et Charles Delfante, Atlas historique du Grand Lyon…, op. cit., p. 152-179).
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport annuel du chanoine L. Veyron, 31 juillet 1952.
Idem, 28 juillet 1953.
Idem, 28 juillet 1954.
Idem, 25 juillet 1951.
Idem, 13 mars 1952 et 28 juillet 1953.
Idem, 25 juillet 1951.