La ville est-elle alors perçue comme un enjeu ? La question mérite d’être posée à l’échelle de deux diocèses à l’occasion de ce rattachement. Ce qui fait problème, en première analyse, est moins la ville que l’impuissance d’un évêque à accomplir sa mission sur le territoire qui lui est confié. C’est le deuxième motif canonique évoqué après celui de l’ « éloignement » dans la supplique adressée à Rome : l’impossibilité matérielle d’observer strictement les prescriptions du canon 336 concernant la vigilance pastorale, « ce qui est un sujet d’angoisse pour la conscience de l’évêque de Grenoble »635. D’autre part, c’est l’industrialisation, corollaire de l’urbanisation, qui semble le plus préoccuper Mgr Caillot. Le contexte de 1954 est tout entier orienté vers le positionnement de l’Église face au monde ouvrier, et non face à la ville en général. Enfin, le vocabulaire utilisé pour mettre en mots la croissance urbaine ou ses effets est encore flou. La supplique évoque « Lyon, dans laquelle Villeurbanne et les paroisses environnantes se trouvent comme englobées à la façon d’une banlieue »636.
Cependant, l’hypothèse d’une pensée sur la ville en train de s’inventer dans les pratiques du quotidien n’est pas à exclure. Dans une lettre au cardinal Gerlier, Mgr Caillot explique qu’il doit prendre en compte l’existence d’une communauté de destin, proprement urbaine, qui entre en concurrence avec les découpages administratif et religieux : « Par exemple, du point de vue de l’état civil : c’est Lyon qui répond pour Villeurbanne. Au point de vue social, économique, ouvrier surtout, les gens de Villeurbanne se considèrentinstinctivement comme de Lyon. Il en résulte des conséquences quotidiennes »637. De même, suite au rattachement, Mgr Caillot déclare : « […]d’autant que tout est "lyonnais" là-bas : industrie, commerce, relations sociales, etc.… Au civil, le canton fait partie du Rhône. Les gens ne comprennent guère pourquoi, au religieux, ils dépendent de Grenoble, bien moins important que Lyon et surtout à plus de cent kilomètres. Ne serait-ce pas plus naturel qu’ils soient rattachés à Lyon ! »638. Ce constat fait suite à une enquête sociologique réalisée dans le diocèse de Grenoble à la demande de l’évêque.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « supplique à adresser à Rome pour solliciter le rattachement » jointe à la lettre du vicaire général Tanchot au cardinal Gerlier, 15 septembre 1954.
Idem. C’est nous qui soulignons.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre de Mgr Alexandre Caillot au cardinal Gerlier, 23 août 1954.
Semaine religieuse de Grenoble, 27 janvier 1955.