L’ « association pour l’étude sociologique de l’agglomération lyonnaise » que Jean Labbens appelle de ses vœux en avril 1954 est quant à elle un peu mieux connue. Elle a sans doute été créée pendant l’été 1955. L’agent de change Antonin Dougerolle et l’industriel Henri Baboin-Jaubert donnent leur accord pour participer au Bureau provisoire691. Le premier est membre de la Société civile des Facultés catholiques et son nom, pour présider l’association naissante, a paru évident à Jean Labbens. Mais Mgr Dupuy dit vouloir limiter la charge de travail déjà lourde du banquier qui peut cependant apporter sa caution morale et ses conseils. Dès lors, Jean Labbens propose le nom du second, qui apparaît comme une personnalité « plus dégagée »692. Faut-il entendre cette expression seulement en termes d’emploi du temps moins chargé… ou peut-on y voir également la volonté de ne pas faire dépendre l’association exclusivement des Facultés catholiques ?
D’autant que Pierre Gardette, le recteur des Facultés catholiques de Lyon, fait partie du Comité de patronage, aux côtés du cardinal Gerlier et de l’évêque auxiliaire Claude Dupuy. L’archevêque de Lyon soutient cette initiative pour plusieurs raisons693. Il s’agit, dans le prolongement du recensement religieux explicitement rappelé, de « répondre aux besoins de tous ordres des populations chrétiennes » et de développer les études de sociologie religieuse « si utiles à la pastorale ». Mais l’intérêt de l’association est aussi d’assurer « l’équipement matériel » des paroisses, et d’ « informer le clergé de tous les perfectionnements que la technique moderne peut apporter à l’équipement des paroisses, collèges, organisations, œuvres, etc… ». Les statuts de l’association prévoient en effet que les industriels et commerçants bénéficient, au titre de leur adhésion à l’association, d’ « études de marché sur les besoins des paroisses ou autres entités ecclésiastiques ou religieuses dans le domaine de leur activité professionnelle », et ce, gratuitement ou à peu de frais694. En outre, cette « élite » du tissu économique lyonnais aura l’assurance de voir son nom figurer dans tous les courriers que l’association adressera aux curés pour leur fournir des renseignements statistiques et sociologiques695.
Une liste des entreprises susceptibles d’être intéressées par cette formule de publicité est dressée par Jean Labbens et envoyée à l’Archevêché. Les sociétés pressenties le sont à des titres divers. Certaines sont traditionnellement associées aux œuvres et à la vie de l’Église : c’est le cas par exemple de l’éditeur-imprimeur E. Vitte de la place Bellecour, du journal L’Écho-Liberté, ou du « Tailleur ecclésiastique ». D’autres ont à leur tête des personnalités catholiques soucieuses d’apporter leur soutien au diocèse, comme Xavier d’Hauthuille pour le Crédit Lyonnais, plusieurs fois cité dans les chapitres précédents. La majorité des entreprises proposent des produits ou des services qui peuvent intéresser la vie des paroisses ou des établissements religieux dans une multitude de domaines, de l’aménagement des locaux (Société lyonnaise de flockage, entreprises « Therm’x » ou « Poncet et de Lestrade » pour le chauffage, Société « Renova » pour la peinture et la plâtrerie) au matériel de secrétariat (Papeteries de la soie et « Perreyron », entreprise Hecey de meubles de bureaux), en passant par la location de salles (Ancien Hôtel de l’Europe) ou l’entretien du matériel liturgique (le teinturier Robert Joly pour le nettoyage des tapis, Rabut pour les orgues)696. Ces sociétés potentiellement membres de l’association se caractérisent par leur très forte concentration géographique : toutes les entreprises citées sont localisées dans la commune de Lyon, et la très grande majorité d’entre elles se situent dans les 1er et 2ème arrondissements697.
Cependant, cette concession faite aux techniques modernes de vente n’est pas du goût de tous. Une association religieuse doit-elle user des procédés de « marketing » comme une entreprise mue par des intérêts financiers ? Le cardinal Gerlier ne semble pas s’offusquer de telles pratiques, puisqu’il encourage explicitement l’association à aider les paroisses et maisons religieuses à « être à la page » sur le plan matériel698. Lors de l’année de démarrage de l’Institut de sociologie (1954-1955), l’Archevêché a versé une somme de 150 000 francs, ce qui prouve l’intérêt que Fourvière témoigne pour le projet de Jean Labbens. Ce capital ne couvrant cependant pas les dépenses, Jean Labbens demande à Mgr Dupuy de porter la subvention à 200 000 francs pour l’année suivante. À cette date-là, en juin 1955, l’association n’est pas encore constituée, même si les efforts pour la constituer « semblent être sur le point d’aboutir »699.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.126, « Bureau provisoire », pièce jointe à la lettre de Jean Labbens à Mgr Claude Dupuy, 16 mai 1955.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.126, lettre de Jean Labbens à Mgr Claude Dupuy, 26 avril 1954.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.126, « Déclaration de Son Éminence le cardinal », sans date mais répondant à une lettre de Jean Labbens à Mgr Claude Dupuy sur les objectifs de l’association datée du 16 mai 1955 et présente dans la même liasse de documents.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.126, « Buts de l’association », pièce jointe à la lettre de Jean Labbens à Mgr Claude Dupuy, 16 mai 1955.
Idem.
D’autres produits ou services intéressent plus directement les patronages (matériel pour colonies de vacances, agences de tourisme, fabriques de billards et de jeux) et le personnel ecclésiastique (assurance civile, services liés à l’automobile, pharmacie, habillement).
Plus largement, il y aurait une étude précise à faire sur les entreprises qui apparaissent comme membres d’associations religieuses ou payant un encart publicitaire dans la Semaine religieuse. Elle permettrait par exemple d’en savoir davantage sur les réseaux d’entreprises qui soutiennent l’Église locale ou sur la façon dont se concluent les appels d’offres pour les travaux qui intéressent l’aménagement intérieur ou extérieur des bâtiments religieux.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.126, « Déclaration de Son Éminence le cardinal », sans date, vraisemblablement 1955.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.126, lettre de Jean Labbens à Mgr Claude Dupuy, 30 juin 1955. Dans le même document, Jean Labbens justifie aussi sa demande de rallonge budgétaire en signalant que ses tâches sont de plus en plus lourdes et qu’il a dû, « pour suivre les développements présents et futurs de l’agglomération lyonnaise, ses incidences sur la vie religieuse, la répartition des paroisses, etc, […] entrer au comité pour l’aménagement du territoire et participer à son travail ». Nous avions signalé dans le chapitre 3 la présence de Jean Labbens dans la commission « main d’œuvre et emploi » du Comité pour l’aménagement et l’expansion économique de la région lyonnaise en mars 1957.